Une chronique politique sans parti pris

Un faux procès masque un vrai débat.

 

Chaque semaine apporte son lot de révélations sur des prêtres pédophiles et des évêques complices. Cela devient écœurant. C’est comme si la police et la justice était impuissante, comme si l’Etat de droit présentait une lacune monstrueuse. L’opinion publique, déjà méfiante à l’égard de toute religion, s’enfonce dans une double conclusion erronée : la plupart des prêtres seraient des pédophiles en puissance ; la plupart des pédophiles se retrouveraient dans le clergé catholique romain, car le célibat ecclésiastique causerait la pédophilie. C’est faux. L’immense majorité des prêtres assument avec dévouement leur célibat sans tomber dans la perversion. La plupart des actes de pédophilie se perpètrent dans les familles, qui observent un secret bien plus hermétique que l’Eglise catholique romaine.

Il y aura toujours des prêtres pédophiles, mais il n’y en aura pas plus que quelques pour cents, comme dans toute profession en contact avec des enfants : médecins, entraîneurs sportifs, enseignants, psychologues. Il y a aussi des notaires escrocs et des avocats marrons, des magistrats prévaricateurs et des politiciens corrompus. La nature humaine est ainsi faite que ces fonctions, qui nécessiteraient une intégrité rigoureuse, sont parfois assumées par des individus indignes. En la matière, une prévention totale est utopique. C’est pour cela qu’existent un code pénal, une police et des tribunaux. Il ne reste que la tolérance zéro à promouvoir a posteriori.

Et c’est là qu’apparaît le vrai débat. Les fautes individuelles commises par des prêtres indignes deviennent celles de l’institution dans la mesure où celle-ci les dissimule à la justice civile. Pire encore, lorsqu’un prêtre coupable est simplement déplacé, continue à exercer un sacerdoce dont il n’est pas capable et répète ses crimes. L’évêque choisissant cette attitude est coupable d’une complicité, plus grave que le crime lui-même. Un pédophile est d’abord un malade mental à soigner et à mettre hors d’état de nuire. Le responsable qui ne le fait pas compromet l’institution toute entière, nuit au coupable et à ses futures victimes.

Le vrai débat se situe donc dans l’exercice du pouvoir dans l’Eglise catholique romaine. La hiérarchie déplore, s’excuse, propose des actes de pénitence dérisoires: il ne sert à rien que les fidèles, qui ne sont pas responsables, prient ou jeûnent pour la conversion des criminels. L’Eglise n’exprime pas clairement les mesures concrètes sur lesquelles il faut qu’elle se concentre.  Il y en a quatre : tout prêtre pédophile est dénoncé à la justice civile ; celle-ci établit les faits et les sanctionne ; l’évêque réduit ce prêtre à l’état laïc et l’exclut du clergé ; l’évêque qui n’a pas suivi cette procédure démissionne de sa fonction. Il ne faut pas qu’il y ait prescription pour ces mesures internes à l’Eglise, face à des crimes qui ruinent des vies entières.

Ce n’est pas cela qui s’est passé ou qui risque encore de se passer. Si cette procédure rigoureuse n’est pas mise en place, on retombera dans la même ornière. C’est ce qui arrive depuis des années. Chaque scandale agite les médias quelques temps sans enseigner les mesures à prendre.

On atteint ici le débat de fond. Le célibat ecclésiastique est-il la cause de la pédophilie ? Rien ne permet de l’affirmer ou de l’infirmer. Personne n’en sait rien. Cependant l’opinion publique en est de plus en plus persuadée. Non pas à cause des fautes individuelles, ni même des dissimulations épiscopales ou pontificales.

Ce qui est en cause, c’est l’attitude générale de l’Eglise catholique romaine de rite latin envers la sexualité. Elle est la seule confession à exiger le célibat de ses ministres du culte. Ce n’est le cas ni des Eglises catholiques de rite oriental, ni des Eglises réformées et orthodoxes, ni du judaïsme ou de l’islam. Cette singularité, explicable par des raisons historiques, ne rend pas l’Eglise latine plus édifiante ou crédible, bien au contraire. Dans la pratique, un curé vivant en concubinage est toujours exclu de sa charge, alors que le prêtre pédophile ne le fut pas, comme si la relation avec une femme était le crime le plus grave des deux.

Si l’Eglise catholique romaine ordonnait des hommes mariés ainsi que des femmes, le vrai débat serait tranché et le faux procès ne serait plus instruit. Il y aurait malheureusement encore des cas d’abus sexuels d’enfants, peut-être moins, mais ils seraient systématiquement dénoncés, du seul fait de la présence de femmes à des postes de décision. Il reste aussi un aspect légal à cette situation. Les cantons subventionnent une Eglise qui ne recrute pas de femmes ou d’hommes mariés. Comment cette pratique est-elle compatible avec le code du travail ou même la constitution ?

 

La sexualité du genre humain fait partie de la Nature. La nier, s’en abstraire ou la stigmatiser fait courir les plus grands périls. De même celui ou celle, qui mange trop ou trop peu, devient malade de boulimie ou d’anorexie dans une symétrie parfaite. Ainsi, la sexualité peut et doit être exercée dans le respect de soi-même et des autres. L’érotisation de la société actuelle est aussi dangereuse qu’une continence contrainte. Il est remarquable que ces deux attitudes antinomiques se rejoignent dans la même perversion. L’Eglise catholique latine doit cesser de présenter la continence comme un idéal de vie. Cela n’a rien à voir avec les fondements du christianisme. Ce ne peut être qu’une vocation individuelle, l’exercice d’un libre choix.

 

 

 

 

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