Une chronique politique sans parti pris

Les médecins sont-ils trop payés?

 

Ce mardi, un titre barre toute la première page de 24 Heures : « En Suisse 118 médecins touchent 1 million par an ». Et après ?  Quel est ce genre de nouvelle ?  Ce titre ne dit rien du revenu moyen d’un médecin de premier recours, évalué à 155 000 CHF, ni des 1 000 médecins assistants des hôpitaux qui gagnent 100 000 CHF par an pour une prestation de 56 heures par semaine, soit 37 CHF de l’heure. Est-ce une information qui vaut la peine d’être épinglée, est-ce un scandale, est-ce une incitation à diminuer la rémunération moyenne des médecins, qui est bien plus basse, en montant en épingle quelques rares cas isolés ?

On serait très curieux de savoir ce que serait un titre analogue pour les avocats, les traders, les banquiers, les footballeurs, les joueurs de tennis, les pilotes de course, les vedettes du cinéma, les promoteurs immobiliers, les héritiers de grandes fortunes, dont l’utilité sociale n’est pas supérieure à celle des médecins. Alors que l’opinion publique admet les hauts revenus pour ces métiers, en revanche le médecin devrait se conformer à l’image historique du praticien, isolé dans la campagne, travaillant jour et nuit, refusant d’être payé par les pauvres, acceptant d’être réveillé en pleine nuit. Un apôtre, un missionnaire, un philanthrope, totalement désintéressé comme le curé et l’instituteur.

Cependant, les temps ont bien changé. Même s’il travaille en cabinet privé, le médecin est maintenant une sorte de fonctionnaire, puisqu’il est rémunéré par le biais des cotisations d’assurance maladie obligatoire, c’est-à-dire une forme d’impôt de capitation, prélevé uniformément sur tous les habitants, indépendamment de leurs revenus ou de leurs fortunes. Le médecin a maintenant le bizarre statut d’indépendant rémunéré par les finances publiques. Dès lors le citoyen estime avoir droit de regard sur sa rémunération, qui devrait se limiter à la modeste paie d’un fonctionnaire. Comme il assure un service public, il ne faudrait tout de même pas qu’il en profite.

Telle est l’explication du malaise perpétuel lorsque les cotisations augmentent pour tenir compte à la fois du vieillissement de la population et des progrès de la médecine, les deux étant intimement liés. Il y a quelque chose d’essentiel qui ne fonctionne pas dans ce système, une contradiction dans son concept lui-même. Le système actuel est à bout de souffle, parce qu’il mélange deux objectifs distincts et incompatibles.

D’une part l’indispensable mutualisation des gros risques (opération à cœur ouvert, maladies orphelines, longues chimiothérapies) pour les patients capables de payer eux-mêmes les soins ordinaires. Ils ont intérêt à souscrire une assurance réduite aux seuls gros risques couverts : c’est un problème classique d’assurance sans aucun aspect politique, sans aucune obligation légale.

D’autre part, la gratuité ou la réduction des frais pour les patients incapables de supporter le coût de traitements ordinaires : cette solidarité n’a rien à voir avec un problème d’assurance, c’est une question d’éthique.

En rendant obligatoire une assurance minimale pour tous, le législateur conjecture que les patients ayant les moyens paient plus qu’il n’est nécessaire et compensent le déficit créé par les assurés qui n’ont pas les moyens. Pour certains, l’assurance est même acquittée intégralement par l’assistance sociale. Or, en rendant « gratuit » pour tous le recours à la médecine, une fois que les cotisations sont payées, on incite tout le monde à en abuser, les malades imaginaires pour récupérer leur mise, les médecins pour accroître leurs revenus en s’attachant une patientèle.

Pour en sortir, au patient capable de payer ses frais ordinaires, il faudrait restituer la responsabilité de décider des soins qu’il requiert et des coûts qu’il assume.  Mais même en restant dans le système obligatoire actuel ,  une assurance, dont les franchises seraient proportionnelles au revenu d’une famille, permettrait de sortir du cercle vicieux. Le principe est évident : pour des soins dont les coûts sont supportables, il faut que le patient consente à les débourser directement. Un droit inaliénable n’implique pas un service gratuit. Et celui-ci ne doit être prolongé ni par un prélèvement obligatoire inique, ni par l’exploitation des travailleurs du système de santé.

 

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