Sur certaines fioles de médicaments, il est formulé qu’il faut agiter la bouteille avant de s’en servir, parce que le dépôt du fond doit se mélanger avec le liquide. Conseil judicieux, qu’il ne faut cependant pas transposer en d’autres circonstances : on n’agite pas une bouteille de Bourgogne avant de la verser, on la maintient même couchée dans un panier pour éviter que la lie se mêle au vin au point de le rendre imbuvable. Si l’on malmène une bouteille de vin, on détériore son contenu, on peut même le détériorer définitivement.
C’est à cette opération que se livre l’UDC, premier parti du pays. Le prospectus déposé dans les boites aux lettres demande de dire oui à la démocratie directe et oui à l’autodétermination, comme si ces piliers des institutions suisses étaient subitement menacés en quoi que ce soit par les 30 traités de libre-échange, les 170 conventions de double imposition, les 85 traités protégeant la propriété intellectuelle, etc … qui existent maintenant et certains depuis longtemps. Il est impossible de commercer avec l’étranger si des règles ne sont pas fixées à l’avance, respectées dans l’usage et arbitrées en cas de nécessité. L’UDC semble donc frappé de folie subite, comme si elle voulait détruire les relations économiques internationales de la Suisse.
En fait, l’UDC ne serait pas devenu le premier parti de Suisse s’il avait été guidé par une série de crises de démence. C’est au contraire bien réfléchi et vraiment efficace. Les initiatives de l’UDC ne surviennent pas, les unes après les autres, année après année, pour réussir, mais pour échouer. Car si elles réussissaient, elles produiraient un tel désordre, en pratique un tel appauvrissement de la population que le parti y risquerait sa survie. Tant qu’elles échouent, elles ne produisent pas d’effets délétères, mais elles persuadent un tiers de l’opinion publique que ce parti est le seul défenseur intransigeant de la Suisse, tandis que tous les autres la trahissent.
Toutes ces initiatives éveillent exclusivement un sentiment facile à susciter : la méfiance, voire la haine de l’étranger, surtout s’il est musulman. (Aux juifs on ne touche plus car ils ont trop servi jadis). Cela flatte certains électeurs qui se sentent alors supérieurs à tous ces défectueux qui habitent en dehors des frontières. En rabaissant les autres, ils s’élèvent eux-mêmes, surtout s’ils n’ont pas de raisons de se féliciter de ce qu’ils sont. Ainsi le parti attire des gens simples, sans diplômes, gagnepetits, frustrés de l’existence, vaincus de la féroce compétition économique, laissés pour compte de la croissance. Par ce tour de passe-passe génial, la droite extrême recueille des électeurs de la gauche, excédés par certains bobos qui la guident. Paradoxe suprême (en fait raison secrète de son succès) cette droite populiste est dirigée par une famille de milliardaires.
Tout baigne donc. En agitant le peuple une fois par an, l’UDC accroit son électorat en fin de législature, il le trouble, il l’indigne, il accroit son dédain à l’égard des institutions, du Conseil fédéral et du parlement. C’est la vieille rengaine : tous pourris. En un mot, le populisme n’utilise les institutions que pour mieux les détruire. Et même alors, ce serait encore tout bénéfice pour lui.
Car, même si une initiative calamiteuse passait la rampe et que la Confédération soit vraiment obligée de l’appliquer avec des conséquences désastreuses, ce serait peut-être encore bénéfique pour le parti. En s’appauvrissant par sa faute, la Suisse compterait encore davantage de mécontents qui donneraient la majorité absolue au populisme. Comme c’est exactement ce qui se passe Italie, ce n’est pas impossible.
La politique bien conçue ne consiste pas à agiter le peuple, mais à l’informer, à l’écouter, à le réconforter. Cela s’appelle servir la Nation. Le contraire de cette politique consiste à se servir de la Nation. Et cette recette marche de mieux en mieux.