Une chronique politique sans parti pris

Est-ce bien normal?

L’année 2018 n’est pas terminée que le scandale de la pédophilie refait surface : plus de 300 prêtres prédateurs en Pennsylvanie, 1670 en Allemagne… Des cardinaux sont impliqués et jusqu’au pape François accusé lui-même (sans doute par vengeance) de dissimulation. Un prêtre du diocèse de Lyon demande la démission de son évêque. Quelques efforts que le pape ait déployés, comme ses prédécesseurs, le problème demeure et s’aggrave. En s’excusant, en indemnisant les victimes, en ne s’efforçant que d’en atténuer les effets, on ne se penche pas sur les causes. Par cette répétition de scandales dans de multiples pays, l’Église catholique romaine perd la face. La foi des baptisés est gravement mise à l’épreuve. La réputation de tous les prêtres est injustement démolie.

Certes la pédophilie existe en dehors des rangs du clergé catholique : dans les familles, dans les écoles, dans les clubs sportifs. Mais la perversion des autres  n’est pas une excuse pour la sienne. Mais pas sous cette forme d’épidémie. Cela devrait susciter une réflexion visant à comparer ce qui est comparable. Aussi bien en Suisse, en Allemagne qu’aux États-Unis, les autres Églises n’en sont apparemment pas affectées de façon aussi massive et spectaculaire. Pourquoi ?

Seule l’Église catholique latine exige le célibat ecclésiastique. Serait-ce une cause possible de la dérive pédophile ? Cette question n’est jamais posée et il est même incorrect de le faire. Or, elle n’en émerge pas moins dans les esprits. De deux choses l’une.

Ou bien le clergé catholique se recrute trop souvent parmi des séminaristes, déjà affectés de cette tendance, qui convoitent inconsciemment à la fois la proximité des enfants et la relative immunité de la fonction, ce qui ferait des séminaires des foyers de perversion. Si l’on élimine cette hypothèse difficilement soutenable – ne serait-ce que par l’aveuglément supposé des directeurs spirituels –, il ne reste que l’autre terme de l’alternative.

Ou bien sevrés d’affection féminine, des prêtres, dotés d’une sexualité normale, transposeraient leur affectivité sur des enfants, en passant de sentiments attendris à des actes criminels. Ce phénomène serait tellement spontané, inconscient et impulsif qu’il se produirait alors dans l’Eglise catholique sur une échelle disproportionnée par rapport aux autres confessions.

Mis à part le cardinal-archevêque de Vienne, Christoph Schönborn, et le théologien suisse Hans Küng, ce lien entre célibat ecclésiastique et pédophilie fut rarement envisagé, parce qu’il est tout autant insupportable. Les prédateurs seraient alors eux-mêmes victimes d’un vœu qu’ils n’ont pas souhaité, qu’ils ne parviennent pas à respecter et qu’ils contournent en désespoir de cause par une perversion.

Il faut rappeler que cette règle de l’Église latine n’est pas d’application dans les autres Églises chrétiennes, même rattachées à Rome, par exemple les maronites du Liban. Ni les orthodoxes, ni les réformés, ni les anglicans ne s’y conforment. Le judaïsme et l’islam réprouvent carrément le célibat. L’Église catholique latine serait-elle la seule authentique, la meilleure, la seule dans la vérité grâce à cette règle particulière ?

Au contraire, une Église catholique latine, dotée de prêtres mariés et de femmes ordonnées, aurait aboli une règle dangereuse : au nom d’une vertu intransigeante et irréaliste, placer des personnes en danger de tentation, jusqu’à leur faire adopter une sexualité perverse plutôt que de lui concéder son expression naturelle. En particulier la présence de femmes dans le clergé préviendrait toutes les tentatives récentes de dissimulation, auxquelles elles s’opposeraient par un réflexe spontané.

Il existe d’ailleurs une dimension politique à cette affaire. En Suisse, de nombreux cantons rémunèrent les ministres du culte, sans pour autant que ce subside constitue une reconnaissance de la confession en elle-même, mais plutôt un subside à l’indéniable rôle social des Eglises.

Est-il légal de subsidier avec de l’argent public, c’est-à-dire la contribution de tous les citoyens, croyants ou non, une entreprise qui exige de ses employés d’être uniquement de sexe masculin et non mariés ? Est-ce conforme à l’article 8 de la Constitution fédérale : « Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment … de son sexe, …, de son mode de vie, de ses convictions religieuses…. L’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. »

On se permet ici tout juste de poser cette question, qui ne peut recevoir de réponse que de juristes, voire de tribunaux.

 

Quitter la version mobile