Une chronique politique sans parti pris

La Constitution n’est pas une poubelle

 

Nous voterons le 23 septembre sur une initiative «Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous»  qui introduit subrepticement l’interdiction définitive des OGM dans la Constitution. Quel est son statut actuel ?

La loi sur les OGM, amendée, débattue et votée par le parlement en 2001, fut balayée par un vote populaire exigeant un moratoire le dimanche 27 novembre 2005. Le peuple accepta, à 55,6 %,une initiative visant à introduire un nouveau chapitre à l’article 197 des dispositions transitoires de la Constitution, précisant que l’agriculture suisse n’utiliserait pas d’OGM pendant les cinq années suivant l’entrée en vigueur de la disposition. De renouvellement en prolongation du moratoire, la loi sur les OGM n’est toujours pas appliquée.

Lors des débats sur le sujet, on entend souvent dire que si l’on accepte les OGM, on introduit dans la Nature un élément artificiel, qui échappe au contrôle et risque de déclencher des catastrophes. Les consommateurs redoutent d’absorber des cellules végétales ou animales, qui auraient été modifiées par génie génétique et, sous-entendu, par la chimie, cette entreprise proprement démoniaque. Cet ADN, qui n’est pas « naturel », viendrait infecter les cellules du corps humain et produire des allergies ou des cancers.

En réalité, le génie génétique utilise de l’ADN naturel, emprunté à d’autres organismes vivants et non pas des gènes qui seraient fabriqués par synthèse chimique comme l’imagination populaire le suppose. La seule question pertinente est la suivante : est-ce que ces gènes-là, au cas où ils seraient intégrés par une cellule, vont jouer un rôle particulier par rapport à ce qui se passait auparavant ? La réponse est négative parce que la cellule « naturelle » résulte d’un processus ancestral d’invasion par de l’ADN étranger.

Le gène, qui est introduit par le génie génétique dans une plante ou un animal, absorbés lors d’un repas, aurait pu y arriver de façon tout à fait naturelle : il y a continuellement invasion de cellules existantes par des virus porteur de fragments d’ADN collectés lors de leurs périples. C’est un mécanisme à la base même de l’évolution : si les cellules ne se modifiaient pas, l’espèce n’aurait pas d’occasion de muter. Sans évolution de ce type, nous serions encore des monocellulaires flottant dans l’océan.

Le fantasme populaire achoppe sur la distinction entre naturel et artificiel. Si la Nature, c’est-à-dire l’évolution au sens darwinien du terme, procède à cette modification, elle est « bonne ». Si l’homme y procède, elle est « mauvaise », en ce sens qu’il intervient dans un procédé de nature sacrée, immuable, gouverné par des lois supérieures. C’est omettre que l’évolution darwinienne dans sa phase créatrice modifie le génome sans aucun but, de façon aléatoire. Seule la phase destructrice par la lutte pour la survie fera le tri. Le mécanisme naturel n’est donc pas sacré en ce sens qu’il procéderait d’une intention divine, à laquelle on ne pourrait déroger sans sacrilège. En somme l’idée communément admise par le peuple se résume dans la formule : la Nature n’a jamais commis d’erreur, sauf quand elle a créé l’homme.

C’est encore oublier que les organismes vivants, utilisés par l’agriculture, ne résultent pas seulement de l’évolution naturelle, qui a engendré des espèces sauvages, mais aussi du processus de sélection qui est à l’œuvre depuis dix mille ans, l’époque de la révolution néolithique, l’invention de l’agriculture. Les paysans, qui se sont succédé pendant des centaines de générations, ont favorisé les espèces les plus productives. Ils ont travaillé par croisements et sélections en agriculture, ils se sont même livrés au clonage par la greffe. Ce lent processus historique s’est déroulé sans connaissances scientifiques au sens actuel, mais sur base de l’observation, de l’intuition, de l’ingéniosité.

Depuis la Renaissance les jardiniers des princes, puis les stations de recherche agronomique, ont apporté une certaine systématique dans ces efforts. Le génie génétique constitue le couronnement de cette technologie agronomique. Il n’y a pas mutation dans la nature des modifications faites sur les organismes vivants : il existe en revanche un saut quantitatif dans l’efficacité et la rapidité des recherches.

Lorsque l’on pose à un juriste la question de savoir quel est le champ d’application défini par « organisme génétiquement modifié », il renvoie à une ordonnance de la Confédération, qui énumère neuf procédés de modification du génome d’un être vivant et en retient trois comme artificiels, laissant supposer que les six autres seraient naturels. On stigmatise comme étant un OGM, non pas le résultat obtenu mais le procédé utilisé.

Telle est bien la racine profonde du fantasme populaire. Aussi longtemps que l’évolution biologique fonctionne sans que l’homme intervienne, celui-ci n’est pas responsable de celle-ci. Il subit, il assume, il supporte, il proteste, il se plaint. Il est comme le client d’un grand hôtel, qui a tous les droits, parce qu’il n’a aucune responsabilité dans la gestion de l’établissement.

Le processus historique de sélection des plantes, des animaux et des hommes, a certes fonctionné sous l’impulsion humaine, mais de façon confuse, avec tellement de tours et de détours que la responsabilité se diluait à travers les siècles et les continents. Maintenant, les hommes ont racheté le grand hôtel et deviennent totalement responsables.

Telle est la réalité. Refuser définitivement les OGM est du même ordre que l’interdiction des minarets inscrit dans notre loi fondamentale. Ce n’est pas sa place.

 

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