Une chronique politique sans parti pris

La Bible est-elle notre Coran ?

 

Depuis deux générations les exégètes et les historiens ont procédé à un travail de décodage de la Bible mais leurs travaux sont souvent confidentiels, inclus dans des ouvrages académiques, inaccessibles ou incompréhensibles pour le grand public. En sens inverse dans les milieux évangéliques ou traditionnalistes, le fondamentalisme connait une résurgence, qui s’amplifie : il suffit de consulter ce qui se publie sur Internet.

Le chrétien se trouve ainsi face à deux conceptions divergentes de l’Écriture. S’il ne peut accepter que celle-ci soit lue comme une sorte de Coran, en l’adoptant comme la Parole de Dieu lui-même, comment va-t-il alors comprendre un texte rédigé voici vingt siècles dans un milieu et dans une langue qu’il ne connaît pas ?

Au lecteur contemporain, le texte évangélique pose des problèmes insolubles : il devrait croire qu’il est possible de marcher sur les eaux, d’apaiser une tempête, de multiplier les pains, de ressusciter des morts en voie de décomposition. Il ne peut donc admettre le texte que dans une optique symbolique. Encore faut-il la définir et l’y introduire. Le mérite d’un ouvrage récent  (Colette et Jean-Paul Deremble, Jésus selon Matthieu, Artège Lethielleux) est de marquer, d’entrée de jeu, le caractère littéraire de l’évangile selon Matthieu, en insistant sur le talent de son auteur et sa créativité, c’est-à-dire sa capacité d’inventer des récits symboliques.

Est-ce déprécier un évangile que de le considérer, non pas comme un compte rendu historique, mais comme un récit littéraire, est-ce lui retirer sa force de révélation et de prophétie ? Pas plus qu’une foule de chefs d’œuvre de la littérature, œuvres d’imagination, qui ont éclairé leur époque et qui l’ont même transformée. La Révolution française a été enfantée par Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Beaumarchais, qui ont communiqué les idées du Siècle des lumières. De même la prise de conscience des problèmes sociaux engendrés par la révolution industrielle doit beaucoup aux Misérables et à Germinal. Ainsi l’auteur inconnu de l’évangile selon Matthieu est-il le témoin de la mutation majeure du judaïsme en christianisme et a-t-il, à travers les siècles, transmis une Parole trop souvent occultée ensuite par des traductions approchées et des interprétations biaisées.

À titre d’exemple significatif, la citation classique « tu es Pierre et sur cette pierre je construirai mon Église » (Mt. 16.18, TOB) est une traduction faussée d’un jeu de mots dû à Matthieu, sur deux termes désignant en grec un matériau pierreux, petros pour désigner un caillou et petra un roc. De même, « ecclesia » désigne au premier siècle l’assemblée du peuple et non l’Église qui ne se constituera que bien plus tard. La traduction proposée par l’ouvrage des époux Deremble est donc : « tu es caillou, et sur ce roc je bâtirai ma demeure en mon peuple ». Cette phrase constitue une opposition entre la faiblesse du disciple et la force de la foi, qui constitue la demeure de Dieu, pas l’intronisation d’un  pontife universel. De cette formule mal traduite, on a déduit la primauté romaine avec tous les conflits qu’elle a engendrés, jusqu’à des guerres de religion avec des millions de victimes. Cette parole en grec mise dans la bouche du Christ relève de la créativité de Matthieu puisque ce jeu de mots est impossible en araméen qui était la langue d’Israël à l’époque. On ne retrouve du reste pas cette proclamation dans les trois autres évangiles.

Lire la Bible n’est donc pas une entreprise banale. Celle-ci rapporte l’émergence du christianisme puisant dans le judaïsme originel, la culture grecque et l’influence de la spiritualité perse. Les textes doivent être éclairés et commentés pour révéler leur sens qui n’est pas aisément accessible. Ils sont de plus en plus désadaptés à des auditoires qui vivent dans un monde complètement différent, gouverné par des lois de la Nature et non par des interventions divines.

Quel est le sens politique d’une telle attitude? Plus important qu’on ne réalise. Les religions sous une forme dégradée inspire profondément l’imaginaire des peuples. On redoute l’interprétation littérale du Coran de la part de certains musulmans, génératrice d’attentats meurtriers. Les chrétiens devraient avoir de leur côté une relation plus claire avec leur propre Ecriture, pour ne pas l’utiliser dans des entreprises politiques ou ecclésiales.

La guerre américaine contre l’Irak, source du conflit actuel, participait de ce mythe de la lutte du bien contre le mal, des Lumières contre l’obscurantisme, du christianisme contre l’Islam. Consciemment ou non, elle se référait au Livre de Josué, conquérant la Palestine au nom du Dieu d’Israël et procédant à un génocide explicitement prescrit dans le Deutéronome. Aujourd’hui encore les chrétiens évangéliques américains, électeurs de Trump, soutiennent Israël dans sa reconquête de toute la Palestine. Orban se déclare prêt à accueillir des réfugiés syriens pourvu qu’ils soient chrétiens et il ne faudrait pas pousser beaucoup l’opinion helvétique dans ce sens.

Des hommes ont rédigé des ouvrages remarquables de -500 à +700 qui ont recensé et appuyé la montée du monothéisme et de son message universel de paix au Moyen-Orient. Ils l’ont fait avec les genres littéraires de l’époque. Prendre ces textes au pied de la lettre a mené à des guerres qui font rages encore aujourd’hui. Il est temps de les replacer dans leur contexte.

Jacques Neirynck

 

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