Il faut beaucoup d’entregent pour édicter une loi qui ne soit ni laxiste, ni rigide. Mais il en faut encore beaucoup plus pour l’appliquer, c’est-à -dire établir un périmètre au-delà duquel elle ne s’applique pas. Un exemple banal et vulgaire : l’usage de l’avertisseur d’une voiture est restreint à la prévention d’un accident potentiel ; personne ne peut se propulser en cornant à fond, hormis la police, les pompiers et les ambulances pour des raisons tout à fait honorables ; cependant durant deux heures après la victoire d’une équipe de football, ses partisans bénéficient d’une tolérance démagogique ; ils ont le droit de réveiller ceux qui dorment pour leur annoncer une bonne nouvelle.
Un cran au-dessus dans l’échelle de la délinquance, il existe déjà des zones livrées à la prostitution de rue qui font l’objet de publication explicite dans la presse avec plans à la clé. On imagine des négociations pittoresques entre une municipalité et quelques souteneurs en chef. Ce genre de zone de non-droit repose lourdement sur le postulat selon lequel il n’est pas possible de lutter contre la prostitution. Dès lors il faut que les clients soient orientés afin de ne pas perdre leur temps en vaines recherches. Parmi eux se trouvent des gens tout à fait importants qui soutiennent ce concept pittoresque.
Sur ce prototype, on propose maintenant, jusque dans les chambres fédérales, de créer des zones de non-droit pour le trafic de drogue. La police serait priée de ne pas y intervenir pour que vendeurs et acheteurs de cocaïne puissent commercer en toute tranquillité et ne se répandent pas dans des zones sensibles. Cet intéressant concept juridique repose aussi sur la formule, mainte fois ressassée, qu’il n’est pas possible d’éradiquer la drogue. Dès lors la municipalité baisse les bras. Il semble que des gens importants, élus, médecins, magistrats, chefs d’entreprise ne puissent fonctionner (pour le bien de tous) sans leur dose de cocaïne. Nécessité fait loi ! Au Pays-Bas le trafic de cannabis est illégal mais sa vente dans certains magasins est légale.
Dans cet esprit créatif on pourrait étendre le concept. Afin que les femmes ne soient pas harcelées un peu partout, pourquoi ne pas délimiter un quartier où les violeurs auraient carte blanche? Il serait interdit de publier son périmètre pour que les chasseurs ne soient pas privés totalement de gibier. Ils ont tout de même aussi des besoins semblables à ceux des drogués. Réservons quelques lignes droites des autoroutes aux excès de vitesse non sanctionnés pour défouler la légitime impatience des fous de vélocité.
Poussons la logique jusqu’au bout : pourquoi ne pas cantonner plutôt la police dans quelques quartiers réservés et laisser le reste du territoire comme espace de liberté total à toute les pulsions ; pourquoi ne pas prévoir des périodes de licence, durant lesquelles l’ivrognerie publique, l’exhibitionnisme et les violences conjugales seraient tolérées ? Et une amnistie générale pour la Nouvel An qui remette tous les compteurs à zéro et tous les prisonniers en circulation.
Cela s’appelle l’innovation, qui manque tellement à notre pays si pusillanime. Merci au parlement fédéral de s’engager dans cette voie créatrice. Car au-dessus du droit, concept chagrin et réducteur, il y a cette prescription constitutionnelle de la liberté du commerce. Même de la drogue.