Une chronique politique sans parti pris

Berne fédérale et Berne réelle

En passant douze ans au parlement on collecte des souvenirs prenants, qui remontent à la surface en lisant la presse. Que se passe-t-il à Berne durant une session du parlement ?

La première impression du Conseil national est donc la suivante : un endroit bruyant et confus, où la parole est continue mais l’écoute faible ou nulle. Cela vient du plafond. C’est une verrière. Très mauvais pour l’acoustique. Le plus souvent, même si l’on entendait on ne comprendrait pas, parce que c’est de l’allemand. Enfin ce que l’orateur croit être de l’allemand. C’est très déprimant parce qu’on croit qu’on ne comprend pas l’allemand alors que c’est le contraire : on comprend l’allemand mais on ne comprend pas ce qui est dit parce que ce n’est pas vraiment de l’allemand..
Même quand, par exception, l’orateur parle en français, il vaut mieux mettre les écouteurs si on veut vraiment l’écouter plutôt que de continuer à discuter à haute voix avec soin voisin. Ce que dit le voisin est en général plus intéressant que ce que dit l’orateur. Et il y a donc cent conversations personnelles pour un discours officiel. Plus la rumeur augmente, plus chacun hausse le ton. On finit par ne plus rien entendre du tout. Même son voisin. Alors le président agite sa clochette. Cela s’arrête un instant et puis cela recommence. Le président agite à nouveau la clochette. Cela ne s’arrête plus. La cloche ajoute simplement son bruit à tous les autres.

Ces allées et venues durent de huit heures du matin à treize heures et cela recommence de trois heures à huit heures du soir, soit dix heures de présence. A cela on peut ajouter une séance de commission qui commence éventuellement à six heures et demie du matin ou qui prend les deux heures du déjeuner. Plus des séances d’information le soir. Il y a moyen de dormir entre onze heures du soir et six heures du matin, si on n’est pas trop énervé. Bref la quantité y est, l’engagement jusqu’au-delà des forces, l’épreuve d’endurance, le marathon. On court du reste pour la gloire, pas pour l’argent. Mais la qualité laisse à désirer.

La Berne fédérale repose sur le mythe de la milice. Le Parlement se réunit quatre fois par an durant trois semaines, chacune de celle-ci commençant le lundi midi et se terminant le jeudi midi afin que les avocats, les médecins, les paysans, les syndicalistes puissent continuer à gérer leurs affaires. De la sorte, on se suffit de parlementaires à quart temps, rémunérés en conséquence. A eux de gagner leur vie en exerçant un métier par ailleurs et de s’occuper du législatif à temps perdu, par dévouement, par désœuvrement ou par hobby. C’est un métier plus qu’à temps plein que ne peuvent vraiment exercer que les retraités, les gens très riches ou ceux, les plus nombreux, qui sont payés par un lobby quelconque pour défendre un intérêt particulier, une banque, un aéroport, un syndicat.

Pour faire tenir le travail législatif en l’espace de cinquante-deux demi-journées par an, le règlement limite ou interdit la prise de parole de la façon la plus stricte. Elle appartient essentiellement aux rapporteurs qui, comme leur nom l’indique, ne présentent pas leur opinion mais rapportent celle de la commission qu’ils représentent. Les représentants des partis déclament au nom de leur parti et le Conseiller fédéral dit ce que pense le Conseil fédéral qui est parfois le contraire de ce qu’il pense vraiment. Au mieux un parlementaire d’opinion dissidente, qui aurait une opinion personnelle, dispose de trois minutes, montre en main, pour expliquer son désaccord avec une proposition. Il déclamera devant un hémicycle quasiment vide, car ses collèges sont courbés sur les ordinateurs du voisinage afin de remplir les tâches de secrétariat pour lesquelles aucune aide ne leur est consentie.

On se rassure en sortant dans la vieille ville de Berne, si prenante. C’est là que se trouve la réalité.

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