Une chronique politique sans parti pris

Le salaire de l’hypocrisie

Quoiqu’en pensent certains, la religion est un problème éminemment politique. Certes, on n’en est plus à sacraliser le pouvoir en le dotant d’une religion d’Etat, adoptée obligatoirement par tous les citoyens, sous peine de persécution. Mais le statut des confessions dans la société civile n’en est pas pour autant résolu. L’Islam troisième religion du pays, pose un sérieux problème à ceux qui se réclament de leurs racines « judéo-chrétiennes ».

La Confédération suisse n’a pas de religion d’État. Néanmoins, les premiers mots inscrits dans la constitution fédérale sont “Au nom de Dieu Tout-Puissant!”, ce qui postule l’existence d’une ou de plusieurs religions. Que faire de cette reconnaissance sans identifier une « vraie » religion, la seule bonne, la seule assurant la cohésion nationale, la seule assurant une discrimination positive. Or catholiques et protestants sont à peu près à égalité numérique en Suisse. On ne peut homogénéiser les croyances en expulsant la moitié de la population.

La reconnaissance et le soutien financier aux confessions ont donc été délégués aux cantons en 1848, à l’issue de la guerre du Sonderbund entre cantons catholiques et protestants, dernière guerre de religion en Europe occidentale. Trait de génie helvétique : sous-traiter un problème encombrant à l’étage inférieur, tout en reconnaissant par une simple phrase que la Confédération prend la religion, ou plutôt les religions, au sérieux.

Le PDC est aujourd’hui l’héritier du parti conservateur catholique qui a recruté ses membres dans les cantons vaincus. Il subit une lente érosion dont la cause principale est sans doute l’abandon de la pratique religieuse. Si 70% des Suisses se réclament encore du christianisme, leur adhésion est moins ferme qu’elle ne le fut. Dès lors afficher une appartenance religieuse dans le sigle d’un parti, loin d’attirer l’attachement peut produire une répulsion. Dans ce contexte, les affaires Darbellay et, plus encore, Buttet constituent un obstacle supplémentaire.

Certes, un parlementaire n’est, ni plus ni moins qu’un autre, obligé d’observer la fidélité conjugale, pourvu qu’en la matière il ne viole aucune loi. C’est un dérèglement de sa vie privée, jusqu’à ce qu’il éclate au grand jour. Les mêmes faits auraient-ils été imputés à un parlementaire d’un autre parti, cela n’aurait pas fait l’objet d’un grand tumulte. Mais dans le cas du PDC, ils bafouent le slogan « parti de la famille ». Personne n’est tenu d’être vertueux, à condition qu’il ne prêche pas la vertu.

Au-delà des mécomptes du PDC, cette distorsion entre le discours et la conduite induit dans l’opinion publique un doute sur toute la politique. Ceux qui votent le budget, c’est-à-dire les impôts, les paient-ils ? Ceux qui fixent les règles de la sécurité routière, les observent-ils ? La tartufferie, l’hypocrisie, le moralisme sont insupportables à l’opinion publique et à l’électorat.

Christophe Darbellay a réglé tout de suite son problème en s’excusant et en assumant les conséquences. L’ex-conseiller national Buttet a mis dix-huit jours avant de démissionner du parlement et certains de ses collègues ont poussé le cynisme et l’inconscience jusqu’à insister pour qu’il y reste. Ils ont de ce fait enfoncé un peu plus leur parti dans le déshonneur, ce qui est abstrait, mais aussi la dégradation de sa base électorale, ce qui est tout à fait concret. C’est l’équivalent de ce qui se passerait si un élu PS pratiquait la fraude fiscale, un élu PLR la faillite frauduleuse, un élu UDC l’emploi de sans-papiers. Un proverbe japonais affirme que le poisson pourrit par la tête. Est-ce que les institutions du pays en seraient arrivées là ?

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