Une chronique politique sans parti pris

L’antithéâtre de Vidy

Le programme du théâtre de Lausanne Vidy pour 2018 vient d’être distribué. Il fera fuir les derniers spectateurs, dont le nombre des abonnements vient déjà de diminuer de moitié, de 5000 à 2500. On y chercherait en vain le titre d’une seule pièce ou d’un seul écrivain.

Par définition, Vidy ne s’intéresse qu’aux inconnus pratiquant une sorte d’anti théâtre, ce que le terrorisme est à la médecine, un Macdo à la cuisine. On se demande même si la direction a jamais entendu parler de Molière, Marivaux, Feydeau, Guitry, Anouilh, Giraudoux, ces gloires méprisables du passé, ou bien des contemporains estimables, Yasmina Reza, Eric-Emmanuel Schmitt, Jean-Claude Brisville, Eugène Ionesco, Jean-Paul Sartre. A supposer que la direction en ait connaissance, cette réputation littéraire ne les intéresse pas, car elle appartient à une culture dépassée, celle de la parole et de l’écrit.

Quels sont les titres des productions (on n’ose parler de spectacles) de Vidy ? Rock trading, Imitation of life, Gus, Evel Knievel contre Macbeth, Put your heart under your feet, Work, Jet set, Eins Zwei Drei, Hate, Rétrospresqu’tive, Unitile. Le premier titre confronte le trading, activité hautement culturelle, avec le théâtre. Le second se joue en hongrois. Le troisième est l’histoire d’un chat. Le quatrième se joue en français, espagnol et anglais. Le cinquième en anglais dont on précise qu’il sera « simple » mais déconseillé au moins de 16 ans. Le sixième en français, anglais et allemand. En résumé, tout texte français est odieux par définition, par choix, par ignorance, par rancune à l’égard de la littérature.

Il existe une autre conception du théâtre, qui consiste à s’attacher tout d’abord à un auteur en prétendant pas faire mieux que lui, à respecter son verbe, à étudier son texte et à l’interpréter. Une belle langue charme par sa seule puissance, par ce qu’elle exprime au-delà des mots et des phrases. Une intrigue bien construite soutient l’attention. Des personnages complexes renvoient le spectateur à lui-même. On sort parfois d’une vraie représentation théâtrale avec le sentiment d’avoir découvert quelque chose d’essentiel, parce que l’auteur s’est élevé au-dessus de son époque et de son milieu pour atteindre l’essentiel de l’humain, pour célébrer et enrichir ce qu’il a de meilleur.

Les spectacles contemporains renvoient à tout autre chose : à l’inculture, à la marginalité, au snobisme, à l’esbroufe, à la vulgarité, à l’obscénité. Le but n’est pas d’élever le spectateur mais de le convaincre de sa propre abjection. Parfois le langage y est remplacé par des cris inarticulés, les comédiens se roulent par terre et, ultime ressource pour soutenir l’attention, sont contraints de se déshabiller ou de mimer un coït. Le programme oublie parfois de mentionner leur nom, puisqu’on ne leur demande aucun talent. Faute de génie, il ne reste plus que le scandale. C’est le genre de spectacle où l’on consulte sa montre au bout de dix minutes pour espérer que cela finisse. Dix minutes plus tard, on la porte à son oreille en se demandant si elle n’est pas arrêtée.

Le Canton de Vaud, la Ville de Lausanne et la Loterie Romande subventionnent avec plusieurs millions cette entreprise de décervelage, qui s’inscrit apparemment dans l’objectif de nos autorités, plaire aux bobos. Il en est ainsi de toutes les cultures, elles finissent par entrer en décadence. Lausanne, qui fut un des foyers de la culture européenne, visitée par Voltaire, Goethe, Rousseau, Hugo, Byron, résidence de Ramuz, Cingria, Simenon, devient annonciateur de son effondrement. Le théâtre de Vidy rentrera dans l’histoire par la petite porte, celle des fossoyeurs d’un art.

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