Une chronique politique sans parti pris

No SSR

On peut supposer que des sondages (non diffusés) pour l’initiative « No Billag » inquiètent les dirigeants de la SSR au point qu’ils s’efforcent de défendre leur conception du service public, tout en ménageant la concurrence représentée par les nombreuses radios et télévisions locales. Si la redevance disparaît, Pascal Crittin a expliqué que la TSR fermera boutique. A ce moment ne subsisteraient plus que des médias hertziens financés par la publicité. Mais pourquoi pas ? Ne serait-ce pas ménager le contribuable que de profiter de cette manne gratuite, qui ne pèse pas sur le budget des ménages.

Lourde illusion. L’argent ne tombe pas du ciel. Il provient des annonceurs. Ceux-ci ne prélèvent certainement pas ces subsides sur leurs bénéfices. Ils ne font pas du mécénat. Ils investissent pour soutenir leurs ventes. Ils prélèvent une taxe occulte sur les consommateurs. Car il ne suffit pas d’exceller en production. Encore faut-il vendre. La publicité est un des moyens, parmi beaucoup d’autres, d’organiser la nécessaire mercatique. Et la publicité télévisée est un outil puissant obéissant à des règles particulières, énoncées par Patrick Le Lay, PDG de TF1 : « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »

La publicité télévisée est donc un marché comme un autre, dont la marchandise est l’attention des êtres humains, leur temps libre, leur désir de se distraire. Celui-ci est capté par des émissions visant à fidéliser un certain public, qui subit ensuite passivement des créneaux publicitaires, qu’il regarde et écoute par inertie. Il suffit de comparer le genre des émissions diffusées par une chaine commerciale avec celui des rares télévisions indépendantes de la publicité, pour comprendre la distinction.

Un annonceur ne poursuit une campagne que dans la mesure où celle-ci rapporte plus de ventes qu’elle ne coûte en frais. Or les téléspectateurs-consommateurs-citoyens ne sont pas tous aussi perméables à des spots vantant des produits, qui sont loin d’être de première nécessité, ceux-ci n’ayant par définition pas besoin de publicité. Pour être influencé par un spot publicitaire, pour acheter des futilités, il faut une somme de naïveté, d’ignorance et d’inculture. Dès lors, les émissions elles-mêmes doivent fidéliser ce genre de public. Ceci explique la surabondance de séries américaines, achetées à bas prix car déjà amorties aux Etats-Unis, agencées pour capter l’attention d’un public benêt. Réceptif à la publicité, il n’est pas intéressés par des débats, sauf spectaculaires, des représentations musicales ou théâtrales, des émissions historiques, des émissions de vulgarisation scientifique. Il n’est qu’une proie facile pour des émissions vulgaires, propageant une vision déformée du monde.

Aucune société n’a jamais été aussi bien informée que la nôtre. Nous savons tout, nous voulons tout savoir pour agir en conséquence au mieux de nos intérêts. Dans l’idéologie implicite où nous vivons, l’information constitue la clé de voûte. Si elle est fausse, en principe tout l’édifice s’écroule : nous cessons d’être efficaces. A cette exigence tout à fait respectable, il n’existe qu’une exception, un territoire de l’information sans foi, ni loi : la publicité. Si c’est pour vendre, on a le droit, mieux le devoir de mentir. Cela n’a rien d’étonnant : nous recherchons l’information parce qu’elle est profitable. Si une information fausse ou tendancieuse, bien circonscrite, rapporte gros, elle mérite d’être diffusée. Telle est la relation entre le publicitaire qui ment et le consommateur qui se laisse séduire.

La publicité est obligée de nous induire en erreur. En prenant le consommateur par les sentiments, les sensations, les sens. En obnubilant sa raison. Il faut l’amener au point où cela ne l’intéresse plus de connaître ni le prix, ni si le produit est utile. La publicité doit susciter le désir et l’inscrire dans l’inconscient de l’animal humain, désireux de vivre et de survivre. Il faut suspendre le temps qui s’égrène et qui fait penser à la vieillesse ou à la mort. La religion de la consommation constitue l’exorcisme de l’époque. On ne promet plus le ciel après la mort, mais l’abondance et le bonheur durant cette vie, indéfiniment prolongée dans un fantasme primaire.

Tel est l’enjeu de « No Billag ». Si la télévision devient un instrument d’étourdissement économique, cela induira la bêtise politique, celle qui aux Etats-Unis a fait élire l’improbable Donald Trump par des foules hagardes. Tel est l’enjeu lointain de « No Billag ». Faire élire un décalque suisse de Trump.

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