L’usine de Docelles en France près d’Epinal est la plus ancienne papeterie de France (1452) et une des plus anciennes usines d’Europe, voir la plus ancienne. Elle a été rachetée par l’entreprise finlandaise UPM qui a ordonné sa destruction. Il ne s’agit pas de celle du bâtiment mais des machines. Le but est avoué : il ne faut pas que ces machines en bon état soient vendues et remontées ailleurs car cela créerait de la concurrence pour le nouveau propriétaire.
Une machine neuve peut valoir jusqu’à 100 millions mais vendues aux enchères elle aurait pu être acquise par un concurrent pour un ou deux millions, ce qui eut créé une concurrence insupportable pour UPM. Elle produit en effet 1200 mètres de papier à la minute. Il a donc fallu percer les cylindres pour les rendre inutilisables, y compris un cylindre neuf d’une valeur de 700 000 Euros. Tout cela sera vendu au prix de la ferraille. En d’autres mots le propriétaire accepte de ne pas toucher le prix qu’il aurait pu espérer en vendant des machines en état de fonctionnement, il préfère subir une lourde perte immédiate plutôt que d’avantager un concurrent. Car le marché se rétrécit. On envoie moins de courrier papier et plus de courriels.
C’est évidemment un non-sens au point de vue de l’intérêt général. UPM aurait pu céder l’usine en état de fonctionnement mais au prix de la ferraille à une coopérative des ouvriers, bien décidés à protéger leur outil de travail et à ne pas se retrouver au chômage. Bien au-delà de ces considérations strictement matérielles, il y a la fierté de travailler dans une industrie de pointe qui est sacrifiée dans le processus. On détruit la raison d’être d’une ville, d’une communauté, d’une population.
Au-delà de l’intérêt de l’Europe, il y a aussi celle du monde. En Afrique une feuille de papier est un objet précieux car son prix pèse sur un pouvoir d’achat très faible. La même usine remontée à Dakar ou à Abidjan aurait pu changer ce goulot d’étranglement du développement. Car le papier ne sert pas seulement à emballer les marchandises des pays riches. Il peut aussi servir à écrire dans les écoles.
Reste les conséquences de la numérisation. Moins de courriers, plus de courriels. Cela préserve l’environnement, nous dit-on. Cela ne préserve pas les emplois au contraire, à commencer par ceux des postiers. Et le papier n’est qu’un des composants de cette révolution industrielle. Que s’est-il passé avec les fabriques de machines à écrire ? Avec les entreprises produisant des pellicules argentiques ? Avec le télégraphe ? Et même que deviendront les CD et les DVD ?
Tel est le destin imparable du progrès des techniques. Il crée et il détruit. Il ne peut créer qu’en détruisant. Il a fallu l’extinction des dinosaures pour que notre espèce voie le jour. La seule question est donc de savoir si on ne serait pas soi-même un dinosaure.