Une chronique politique sans parti pris

Sous l’égide d’Erasme, premier des humanistes européens.

Sous l’égide d’Erasme, premier des humanistes européens.

Depuis 1992, la Suisse a participé au programme d’échange Erasmus créé en 1987 par l’UE : 40 658 étudiants ont quitté la Suisse, pour étudier dans une université étrangère ; 41 312 jeunes sont venus dans notre pays. Suite à l’acceptation de l’initiative sur l’immigration de masse en février 2014, les négociations pour l’association de la Suisse au programme Erasmus + ont été suspendues par l’UE. Une solution transitoire fut mise en place par la Suisse, d’abord applicable jusqu’à fin 2016, puis reconduite pour 2017. Le Secrétariat d’Etat à la Formation, à la Recherche et à l’Innovation avait indiqué que son but était une pleine participation au programme.

Finalement, ce ne sera pas le cas, on en restera à une solution provisoire, qui demande à chaque université d’exploiter son carnet d’adresses d’institutions étrangères, pour agencer une filière (éphémère) d’échanges au prix d’une bureaucratie supplémentaire et de la perte d’un accès plénier. Les parlementaires voteront cet automne le budget de cette solution durablement provisoire: 114 millions de francs sur trois ans. C’est trois fois moins que ce qu’aurait coûté une participation pleine et entière à Erasmus+, à l’estime du Conseil fédéral. Est-ce le véritable mobile de cette solution boiteuse ? En quoi est-ce une véritable économie ?

L’enjeu ? Permettre à des étudiants d’effectuer une partie de leurs études dans une université étrangère. L’intérêt ? Incidemment d’apprendre une langue étrangère en Allemagne, Espagne ou Grande-Bretagne. Mais là n’est pas l’essentiel. On touche au mécanisme essentiel de l’activité universitaire : l’accès à une institution transnationale. Sur notre planète, il existe une multitude de langues, une foule de religions, une pléthore de nations, mais il n’y a et ne peut y avoir qu’une seule science. Les sottes tentatives nazie et communiste de créer des sciences nationalistes ont piteusement échoué. Par exemple, l’interdiction avant 1988 pour les ingénieurs russes de participer aux colloques internationaux en informatique a réduit l’Union soviétique en pays sous-développé dans cette discipline maîtresse.

Pourquoi ce besoin de contacts concrets, matériels, physiques entre scientifiques ? Il semblerait que la profusion des revues scientifiques assure largement la transmission de l’avance des sciences et des techniques. Certes, mais l’essentiel est absent de ces papiers. On n’apprend pas la cuisine dans les livres ou dans les revues, mais en travaillant avec les meilleurs chefs. De même les laboratoires de recherche éminents conservent jalousement des recettes de cuisine, qui ne sont surtout pas publiées et qui font toute la différence. Il s’y perpétue une méthode que l’on peut seulement découvrir sur place. Les plus grandes découvertes sont souvent conditionnées par une discussion informelle autour d’une tasse de café ; deux cerveaux possèdent chacun une moitié de solution sans réussir à imaginer l’autre jusqu’à ce qu’une seule phrase la transmette.

Durant le courant de sa formation initiale, il est essentiel qu’un jeune étudiant se pénètre de cette réalité explicitée nulle part. Rien n’est pire pour une université que de sombrer dans l’ « inbreeding », la consanguinité académique, le renfermement d’une institution initialement prestigieuse sur elle-même, recrutant ses chercheurs et ses professeurs uniquement parmi ses propres diplômés. Le succès des universités américaines est né dans les années 30 de leur ouverture aux savants européens fuyant les persécutions. L’Europe s’est plainte de ce « brain drain », dont les conséquences économiques et politiques ont été démesurées. Elle en était la seule responsable, car le nationalisme sur le continent empêchait la libre circulation des scientifiques et les incitait à franchir l’Atlantique.

Certes, Erasmus ne fera pas la différence à lui seul, Horizon 2020 est autant voire davantage important. Mais il demeure essentiel d’apprendre aux plus jeunes qu’au-delà de leur nationalité ils accèdent à une communauté internationale, qui fonde secrètement l’unité du genre humain et dont ils ne peuvent s’exclure sans se tarir. L’esprit planétaire transcende la lettre d’une loi nationale. Le DEFR en est-il conscient ?

Quitter la version mobile