Une chronique politique sans parti pris

Les non-dits de la procréation médicalement assistée

Nous voterons donc en juin pour approuver la loi LPMA déjà acceptée par le parlement à une large majorité, qui permettra enfin aux médecins suisses de pratiquer le diagnostic préimplantatoire. La loi actuelle interdit ce geste médical qui soulève un problème insoluble : quelle est la définition d’un être humain ? A partir de quand un embryon doit-il être protégé à ce titre ?

La législation actuelle comporte une contradiction évidente. Même si le risque de maladie génétique ou de stérilité est avéré, le diagnostic préimplantatoire est interdit. En revanche, le diagnostic prénatal est autorisé et l’avortement est légal jusqu’à la douzième semaine même sans indication médicale. La protection accordée à un embryon de quatre jours est donc supérieure à celle d’un fœtus de 12 semaines. Dans la situation actuelle et avant que la LPMA entre en vigueur, le médecin ne peut proposer aux parents en situation que quatre solutions bancales : ne jamais procréer d’enfant ; accepter d’élever un enfant gravement malade ; procéder à une grossesse à l’essai avec la possibilité d’un avortement si nécessaire ; se rendre à l’étranger pour bénéficier d’une législation moins obscurantiste. C’est la dernière solution qui est adoptée par les parents aisés ; en pratique pour la Suisse romande, le gynécologue helvétique, lié par la loi, interdit de pratique, adresse ses patients en Belgique francophone. En matière de procréation médicalement assistée, la médecine suisse est à deux vitesses définies par la loi: seuls les parents modestes n’auront pas d’enfant, accepteront le traumatisme d’un avortement ou courront le risque d’un enfant handicapé.

Deux logiques incompatibles s’affrontent en présence d’une échappatoire.

1/ La logique médicale vise les meilleurs soins dans l’état actuel des connaissances. Si le DPI est plus efficace qu’une autre intervention, la déontologie médicale commande de le choisir. Il faut produire le nombre d’embryons nécessaires pour procéder à l’intervention dans les meilleures conditions, ni plus, ni moins. Dès lors les buts seront atteints dans la mesure du faisable : pallier la stérilité de certains couples, empêcher la transmission de maladies héréditaires, prévenir l’implantation d’embryons dont le génome est déficient (trisomie), sauver une enfant menacé de mort par l’apport des cellules d’un enfant à naitre. Sur ces quatre objectifs seul le dernier n’a pas été retenu par la LPMA proposée au suffrage du peuple.

2/ La logique politique, celle du Conseil fédéral, est tactique : il s’agit de concevoir un projet de loi qui ne suscite pas une initiative populaire en sens contraire. Le projet du CF était donc restrictif. A savoir que le DPI n’est autorisé que s’il n’y a pas moyen de faire autrement. Concrètement cela signifie produire en PMA le moins d’embryons possibles de façon à ne pas devoir « trop » en éliminer.

3/Face à ces deux logiques incompatibles, il existe une échappatoire : justifier la position du CF par une invocation rituelle à « l’éthique », sans savoir à laquelle se référer. Car la Commission Nationale d’éthique a pris position à la majorité en faveur de la logique médicale, qui est aussi celle des patients. L’éthique (variable selon les instances) fonctionne donc comme une variable d’ajustement entre deux logiques contradictoires et permet formellement de les faire coexister. La révision proposée se limite à l’élimination des contradictions les plus voyantes de la législation actuelle en interdisant les autres applications possibles du DPI pour éviter l’accusation d’eugénisme.

Il est remarquable que les législations les plus restrictives soient celles de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie. Le traumatisme historique du nazisme, de ses théories raciales et de son entreprise d’eugénisme induit cette singularité. Pourquoi la Suisse a-t-elle été entraînée dans cette coalition des culpabilités collectives ? Sinon par contamination culturelle entre l’Allemagne et la Suisse alémanique. En revanche la loi autorise le DPI, même pour la sélection du sexe, aux Etats-Unis et en Israël, ce qui est tout aussi significatif d’un héritage historique à l’opposé.

Il vaut donc la peine d’examiner sérieusement les objections toujours vivaces en Suisse contre une législation plus humaine, qui risquent de faire échouer même la modeste révision proposée. La commission d’éthique et les associations d'handicapés ont utilisé un  argument assez curieux : les premières personnes lésées par le DPI seraient à l’avenir les personnes handicapées. Comme le DPI permet d’en réduire le nombre, celles qui naîtraient néanmoins seraient stigmatisées et rejetées. Au bout de quelque temps, l’Etat poussé par l’opinion publique rendrait le DPI obligatoire afin d’éliminer complètement certains handicaps.

Bref, à cause du DPI facultatif on arriverait à l’eugénisme forcé : la société se fixerait pour but global de ne plus tolérer la naissance d’enfants avec certaines tares génétiques, ce qui est selon les opposants inadmissible pour des raisons éthiques. Cet argument est étonnant, car il revient à supposer que la nature ne commette pas des erreurs, que nous ne puissions ou que nous ne devions corriger. Si on avait admis ce sophisme jadis, on n’aurait pas rendu obligatoires certaines vaccinations comme celles contre la variole ou la polio qui ont fini avec le temps par éliminer ces maladies. De même l’application du DPI à une large échelle sur base de nos connaissances actuelles finirait par faire disparaître la mucoviscidose (un enfant sur 2000), la maladie de Huntington (un cas sur 15000 ) et la dystrophie myotonique (un sur 8000).

Serait-ce une faute morale ? Les dernières personnes atteintes de ces maladies seraient-elles pour autant abandonnées par le corps social, parce qu’elles seraient devenues moins nombreuses ? Faut-il multiplier les enfants malades pour qu’ils ne se sentent pas anormaux ? Etrange argument de philosophes en chambre et de gouvernants pusillanimes qui risque de polluer le débat parlementaire ou public à venir. Serons-nous capable de l’écarter au nom du bon sens, de la foi dans le progrès et du respect à l’égard des enfants à naître ? Ou bien le conservatisme de la droite, le conformisme écologiste de la gauche et l’intégrisme religieux l’emporteront-t-ils à nouveau ?

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