Une chronique politique sans parti pris

A quoi servent les Ecoles Polytechniques ?

De deux choses l’une : ou bien c’est un investissement collectif de la Suisse, désireuse d’assurer la relève des chercheurs, ingénieurs, scientifiques qui en ont fait une des premières nations industrielles du monde ; ou bien c’est une école de cadres dont le diplôme assure une carrière avantageuse financièrement. Dans le premier cas, la Confédération doit veiller à cet investissement en lui consacrant les ressources nécessaires. Dans le second cas, elle peut s’en désintéresser en comptant sur l’initiative individuelle des familles fortunées souhaitant assurer le futur de leurs rejetons. Entre ces deux vocations, le Conseil fédéral hésite. Il sait que la première est indispensable à long terme. Il feint parfois de croire à la seconde en essayant de faire des économies à court terme.

C’est pourquoi à intervalles réguliers revient la tentation de couper dans les crédits de la recherche et de la formation. On agite à présent une coupe de 30 à 40 millions dans le budget de l’EPFL. Il est vrai que cette institution marche tellement bien qu’on peut s’imaginer à Berne qu'il n’est pas strictement nécessaire de la subsidier au niveau actuel et qu’en lui donnant moins de moyens elle améliorera sa productivité. Funeste illusion du Département fédéral de l’économie et de son chef le superficiel conseiller fédéral Schneider Amman. Il a fallu près d’un demi-siècle pour hisser Lausanne au niveau de Zurich, beaucoup d’efforts et même un peu de génie. Couper dans le budget, c’est surtout couper dans les salaires, dans le nombre de places de travail. Trente millions de moins, c’est cent chercheurs à remercier ou à ne pas engager. C’est une onde de choc qui se répand dans la planète scientifique : l’EPFL est arrêtée dans sa croissance; allons voir ailleurs.

Fritz Schiesser, président du Conseil des EPF, a laissé entendre que pour pallier ce déficit, on pourrait  doubler les taxes d’études. C’est apparemment une astucieuse manœuvre politique pour contraindre le Conseil fédéral à assumer la révolte prévisible des étudiants et éventuellement à le faire reculer. Mais c’est aussi une manœuvre périlleuse : le gouvernement peut tirer argument de cette nouvelle ressource pour couper encore plus allègrement dans les budgets. Petit à petit se généralisera le préjugé selon lequel c'est aux étudiants de financer leurs études comme à Harvard ou Stanford. 

Dix mille étudiants qui paient 1200 CHF de plus, cela ne fait encore que 12 millions, soit 1,3% du budget de 900 millions de l’EPFL. Ce n’est donc pas en taxant les étudiants que l’on compensera la défaillance de la Confédération. Mais on le fera croire et on s'en persuadera soi-même. Ce n’est pas non plus en proclamant que cette mesure ne pèsera pas sur les étudiants à faibles revenus, car on leur accordera des bourses supplémentaires. Celles-ci sont assurées par les cantons  avec des différences énormes de l’un à l’autre.

En d’autres, mots si on se résout à cette solution insuffisante, injuste, vexatoire, contreproductive, cela revient à transférer le fardeau de la Confédération aux cantons. Comme ceux-ci ne bougeront pas, les étudiants paieront davantage et les familles modestes hésiteront un peu plus à soutenir un rejeton dans une EPF. En pratique cela cela signifie  débourser 20 000 CHF par an, 100 000CHF pour un cycle d'étude complet. On perdra donc quelques talents démunis de finances, tout en continuant à proclamer que la seule ressource de la Suisse est sa matière grise.

Il y a encore eu pire. Pour éviter de doubler les taxes des étudiants dont les parents résident en Suisse, le PS par la voix de Roger Nordmann a proposé de tripler les taxes des étudiants étrangers sous le prétexte que leurs parents ne paient pas d’impôts à la Confédération. Ce genre de mesures est attendu de l'UDC, mais il est étonnant de le voir suggéré par la gauche prétendument humaniste et internationaliste. C'est surtout oublier que jusqu'à vingt ans ces jeunes gens étrangers n'ont strictement rien coùtè à la Suisse et que leur recrutement nous fait faire des économies considérables. On écarterait donc des talents étrangers plutôt que suisses avec le même résultat final : de futurs chercheurs et ingénieurs sélectionnés sur base de la fortune familiale plutôt que sur leur capacité propre.

De deux choses l’une : ou bien les EPF sont un service public financé par l’ensemble des contribuables ; ou bien c’est une école de cadres visant à proroger les privilèges des notables. C’est un choix décisif que le ministère de l'Economie opèrera selon sa logique propre, à court terme, sans vision d'ensemble, sans projet. Si la Confédération n'assume plus sa responsabilité, il est tentant pour le Conseil des Ecoles d'en faire payer les conséquences aux étudiants qui ne peuvent se défendre. Cela s'appelle selon un vieux proverbe : battre le chien devant le lion.

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