Une chronique politique sans parti pris

Une arme n’est pas un symbole

A Montreux la semaine passée, un jeune homme de 26 ans, par ailleurs Suisse, a assassiné son amie, d’abord d’un coup de couteau, puis en utilisant son fusil d’assaut avec lequel il s’est ensuite suicidé. Double crime passionnel parmi d’autres, comme il y en aura malheureusement toujours.

Cette tragédie pose une fois de plus la question du maintien à domicile de l’arme de service, question maintes fois débattue au parlement fédéral. Jadis obligatoire pour les soldats de milice, cette obligation est devenue facultative, l’arme pouvant être déposée dans un arsenal moyennant paiement, puis gratuitement. Cette question oppose rituellement la gauche à la droite. Dans ce débat, cette dernière concède que l’arme à domicile ne relève pas d’une nécessité stratégique, mais qu’elle signifie symboliquement la confiance que l’Etat témoigne aux citoyens.

Ce débat s’inscrit dans un débat plus large, celui sur la détention d’armes à feu militaires ou non par des particuliers, qui déborde nos frontières et qui s’est déroulé récemment aux Etats-Unis. Les chiffres valent la peine d’être médités. En un an, en 2013, il y a eu 33636 mots par arme à feu dans ce dernier pays, soit 92 morts par jour. De son côté la Suisse détient le record européen de suicides par arme à feu, avec une moyenne de 341 par an, représentant un peu plus du quart des suicides, et un tiers pour les hommes : dans 40% l’arme est d’origine militaire. L’arme à feu est efficace car, dans 90% des cas, l’acte est réussi si l’on ose dire.

En revenant au double décès de Montreux, ce qui est vraiment révélateur est la réaction des autorités. Le syndic de Montreux, par ailleurs homme pondéré, fait remarquer que l’agression initiale fut faite au couteau et que l’arme de service n’a servi qu’à achever la victime. Dès lors, il pose la question ironique de savoir s’il faut interdire les couteaux de cuisine. De son côté, le président de la Société Suisse des Officiers défend la situation actuelle en arguant que 5% des recrues sont refusées à l’incorporation pour raisons psychologiques, ce qui signifie par soustraction que 95% des hommes constituent des détenteurs fiables d’arme à feu chez eux. Fort heureusement lors du recrutement de professionnels de la sécurité dans la police, la gendarmerie ou les gardes-frontières, on exerce un contrôle beaucoup plus strict que ne vérifient pas et de loin 95% des candidats. 

Les considérations distinguées des autorités ne ressusciteront pas les victimes. Un crime, un suicide sont des gestes impulsifs qui se concrétisent parce qu’un moyen simple et efficace est disponible. Il y a en Suisse une arme à feu pour deux habitants. C’est le même réflexe que celui des Etats Unis. Les deux Etats ont été constitués en vue de garder le pouvoir au peuple : la possession d’armes à feu symbolise cette relation. Mais il est des symboles tout aussi parlant et moins dangereux : un mat et un drapeau. Car on ne peut pas imaginer qu’une dictature ou une conquête menace réellement la Suisse au point que le peuple doive garder les moyens d’une insurrection.

La sécurité du pays constitue un problème très sérieux. Le problème n'est pas de savoir s'il faut une armée : cela va de soi. Mais de réfléchir à la relation qui peut exister entre une armée de milice et la détention par des particuliers d'armes à feu.

Nous risquons, tôt ou tard, un attentat terroriste. Est-ce que les trois millions d’armes détenues par des particuliers constituent une protection ou au contraire une menace car certaines de ces armes disparaissent et sont probablement vendues ? Le jour où un martyr djihadiste tuerait avec une arme de service détournée des dizaines de personne dans un concert ou dans un restaurant, on se poserait enfin la véritable question : ces armes payées avec les contributions des citoyens sont-elles un facteur de sécurité ou d’insécurité ?

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