Si vous l’ignoriez encore, apprenez qu’il existe une Association pour l’Abolition des Expériences sur les Animaux (AAEA). Un grand nombre de ces confréries illuminées donnent bonne conscience à leurs adhérents et siphonnent leurs cotisations pour continuer d’exister. On vient d’en avoir confirmation par la publication spectaculaire de doubles pages dans plusieurs journaux romands au tarif de 75000 CHF pour une annonce.
L’argument utilisé est singulièrement vicieux. On représente la silhouette d’un patient claudicant avec deux béquilles. Le message en gras annonce que « malgré les recherches sur les animaux…les maladies génétiques sont toujours incurables » et que « la fixation sur l’expérimentation animale…garantit que les maladies génétiques restent incurables ». Pour le lecteur pressé, le message subliminal devient : les maladies génétiques proviennent de l’expérimentation animale.
Sous cette communication, surgit le fantasme du savant fou, cher aux bandes dessinées de bas niveau. Comme le génome humain est distinct du génome animal, il semble en effet insensé d’étudier les maladies humaines en utilisant des animaux. Le bon sens populaire devrait prévaloir urgemment dans la conduite des laboratoires, peuplées de pervers. Selon l’AAEA, il existerait des méthodes plus efficaces que l’expérimentation animale pour traiter les maladies génétiques. Dès lors si les chercheurs s’obstinent à ne pas les utiliser, c’est qu’ils sont non seulement fous, mais aussi incompétents. Seul subsiste un petit îlot de science authentique, restreint à cette association qui lutte désespérément contre la science officielle.
On rejoint ici un slogan cher à l’extrême-droite. Selon cette mouvance, les politiciens, les intellectuels, les universitaires, les artistes ont perdu le contact avec le peuple « qui a toujours raison» (même quand il a tort selon Marine Le Pen). Le progrès des sciences et des techniques est ressenti comme une menace pour l’ordre traditionnel.
C’est d’ailleurs par crainte de cette croyance populaire que la Confédération a édicté des lois très restrictives pour tout ce qui touche à la génétique : l’expérimentation humaine, l’analyse génétique humaine, la procréation médicalement assistée, le moratoire sur la culture des OGM. Le mot génétique semble, pour l’administration et le parlement, sinon comme franchement obscène, du moins susceptible de susciter en sens contraire des initiatives populaires qui bénéficieraient d’un soutien massif.
Aussi longtemps que l’on entravera la démarche des chercheurs, les maladies génétiques resteront effectivement incurables. Et l’AAEA collectera des millions pour financer des annonces ineptes. Pourquoi n'a-t-elle pas investi les 600 000 CHF de sa campagne de presse dans le soutien à ces recherches intelligentes qu’elle place au dessus de l’expérimentation animale ? Et surtout pourquoi la presse accepte-t-elle de publier une double page de désinformation massive ? A quand des doubles pages sur le rétablissement de la peine de mort, l'expulsion des musulmans et la construction d'un mur de barbelés sur les frontières?