“Au niveau de ma croyance personnelle, je peux me représenter des femmes à l’autel”. Telles furent les paroles prononcées par Mgr. Félix Gmür, évêque de Bâle. Il se hâta d’ajouter que telle n’était pas la doctrine de Rome. J’eus l’occasion d’en débattre lors de l’émission Forum de la RSR avec Mgr de Raemy, qui présentait cette doctrine traditionnelle avec un seul argument : il n’y avait pas de femmes parmi les douze apôtres de Jésus.
C’est prendre les évangiles pour des documents historiques ce qu'ils ne sont pas, mais des textes rédigés deux générations plus tard par des Eglises, qui commençaient à s’organiser et à justifier leurs choix. Selon les spécialistes, Jésus n’a jamais fondé une Eglise, ni a fortiori ordonné des prêtres.On ne fera pas l'injure à Mgr de Raemy de supposer qu'il ignore cela et on le plaint d'avoir dû défendre en service commandé une thèse avec laquelle il n'est peut-être pas d'accord. L’argument de l’Ecriture est donc fragile et il sera sans aucun doute abandonné tôt ou tard.
En effet, depuis un siècle les femmes ont accédé à toutes les fonctions jadis réservées aux hommes : médecin, avocat, magistrat, officier, chef d’entreprise, ministre, chef d’Etat. Elles sont électrices et éligibles parce que citoyens et citoyennes sont égaux en droit selon l’article 8 de la Constitution suisse qui prohibe toute discrimination fondée en particulier sur le sexe.
Seule en Suisse, l’Eglise catholique fait exception et refuse aux femmes le droit d’accéder au ministère du culte, tandis que les Eglises réformées ont sauté le pas et que l’Eglise anglicane (dont la cheffe est la reine !) consacre même des évêques femmes. Et cela se passe très bien : non seulement les femmes se révèlent digne de cette fonction mais souvent elles y excellent. Tout comme nos trois conseillères fédérales ne déméritent pas en comparaison de certains conseillers fédéraux que l’on se gardera de nommer, par l’exercice précisément de la charité chrétienne.
Or la plupart des cantons rémunèrent les ministres du culte pour tenir compte de l’action sociale des Eglises. Mais cet argent public est réservé aux hommes non mariés dans le cas de l’Eglise catholique. Est-ce bien conforme à la Constitution ou à l’esprit qui anime la législation du travail ? Certes l’article 15 de la même Constitution garantit la liberté de croyance. Cela ne veut cependant pas signifier que les Eglises puissent s’organiser à leur guise en violant la loi. La prétendue Eglise de scientologie en fit l’expérience en France où ses dirigeants furent condamnés pour escroquerie en bande. Combien de temps une entreprise quelconque pourrait-elle proposer par annonce des emplois réservés à des hommes célibataires avant de se retrouver devant un tribunal ? Et si elle s’avisait de licencier un de ces employés parce qu'il se marie, cela ferait un scandale inimaginable.
Les institutions suisses intègrent en pratique une valeur essentielle du christianisme : l’égale dignité de l’homme et de la femme. Sur ce point elles sont en avance sur une Eglise, censée en théorie promouvoir cette valeur, qui la nie en pratique au seul nom de la coutume. Si la Suisse s’en était tenue à la tradition, Simonetta Sommaruga ne serait pas présidente de la Confédération, cheffe d’un Etat qu’elle représente avec intelligence, courage et dignité.