Du Mali jusqu’en Afghanistan, le confins sud de l’Europe est en état de conflits permanents, ouverts ou larvés. De temps en temps des aviations occidentales viennent sans risque bombarder des ennemis éventuels, planqués au milieu de civils, qui sont les victimes les plus nombreuses. Les réfugiés fuient la zone et risquent leurs vies dans des embarcations en voie de submersion. On peut estimer que chaque année ce flux impliquerait jusqu’à un million de personnes avec 5 à 10% de morts en route.
Or les pays européens impuissants le dissimulent derrière des solutions chimériques. On agite vaguement la possibilité de poursuivre les passeurs ou bien de refouler les embarcations vers leur port de départ. On admet au compte-goutte 1 ou 2 % des réfugiés, dont aucune tutelle ne conteste du reste l’authenticité du statut. Plus vaguement encore – et pour cause – on parle de résoudre les problèmes sur place par une aide au développement démultipliée.
Comment en est-on arrivé là ? Voici un siècle à l’issue de la première Guerre Mondiale, l’Afrique et l’Asie étaient terres de colonisation à part de rares exceptions comme le Japon, la Chine ou l’Ethiopie. L’ordre y régnait, mais pas la république. Les habitants, sujets privés de droits politiques, étaient exploités plus que développés. Dans les années 60 un grand élan de générosité empruntée procéda à une décolonisation massive : en faisant les comptes on s’était rendu compte que cela coûtait plus que cela ne rapportait. Les institutions démocratiques léguées poliment par les colonisateurs se diluèrent rapidement dans d’obscures dictatures au bénéfice d’une nouvelle bourgeoisie, corrompue et incompétente. Le peuple n’en retira aucun avantage. La pauvreté, la famine, les épidémies et les violences, les maux ancestraux revinrent.
De temps en temps, une armée européenne ou américaine débarque pour ramener un semblant d’ordre, se fait haïr par la population et s’enfuit sans demander son reste. D’où la double question impertinente : pourquoi les a-t-on colonisés d’abord et pourquoi les a-t-on décolonisés ensuite ? Après avoir pris une manière d’engagement moral à développer ces pays, pouvait-on abandonner la tâche à peine esquissée ? Et comment la reprendre maintenant sans déclencher une vertueuse indignation des maîtres à penser occidentaux. Si nous intervenons, au nom de quel droit d’ingérence ? Si nous n’intervenons pas, nous serons envahis. Il n’y a plus que de mauvaises solutions, la pire de toute étant de ne rien faire. Facile à dire quand on ne sait même pas ce qu'il faudrait faire.
