Une chronique politique sans parti pris

La haine de la culture est un réflexe pour la droite

Le parlement fédéral se penche sur le message « pour l’encouragement » de la culture qui courra sur les cinq prochaines années. Toujours aussi maigre : 220 millions par an, 10% du soutien des finances publiques à la culture. Si c’était possible, la Confédération ne ferait rien du tout. Mais il y a le cinéma suisse qui est manifestement d’intérêt national, Pro Helvetia qui diffuse à l’étranger, etc… On est bien obligé de subventionner ce qui est considéré comme une perte de temps et d’argent, la cinquième roue de la charrette, la cerise sur le gâteau, un investissement qui ne rapporte rien. Croit-on. En fait c’est 260 000 emplois et un chiffre d’affaire de 73 milliards. Du point de vue comptable, la culture est rentable. Alors pourquoi cette haine ?

Petite avancée : le budget annuel augmentera de 13 millions par an. En période d’austérité budgétaire, cette munificence a horrifié la droite nationaliste, conservatrice, gestionnaire. Elle a proposé de biffer cette augmentation dans un geste spectaculaire de vertu budgétaire. Ce faisant elle a dévoilé son rapport trouble avec la culture, qui est pour elle un objet de suspicion. Selon sa doxa, cette chose sans nom ne peut être que l’expression des couches populaires de jadis : le cor des Alpes, les papiers découpés et Albert Anker en fixent les contours indépassables. Au-delà, la culture fait de la politique présente, elle est l’oeuvre de gauchistes. Malgré ou à cause de son impassibilité voulue, le cinéma suisse dénonce la banalité du Mal dans notre pays. Fernand Melgar met en scène la violence occulte d’une démocratie dans Vol Spécial et L’Abri. Jean Stéphane Bron dissèque froidement le monde politique avec Le Génie Helvétique et L’expérience Blocher. Il est tout simplement insupportable de subsidier ce genre de provocations.

Or, au même moment, les terroristes de Tunis s’en sont pris aux visiteurs d’un musée, plutôt qu’aux députés tunisiens en train de discuter de mesures contre le terrorisme. Ce ne fut pas un hasard ou une erreur. De même, les djihadistes détruisent les monuments qui témoignent du long passé de l’Irak. Au Mali, ils firent de même avec les mausolées de Tombouctou. Ils reproduisent la haine viscérale des nazis, brûleurs de livres, qui exilèrent Thomas Mann et Berthold Brecht. Hitler et Goebbels adoraient répéter une citation : « quand j’entends le mot culture, j’arme mon revolver ». Les soviétiques exilèrent Soljenitsine et Rostropovitch. Quand le mur de Berlin s'effondra, ce dernier emppoigna son violoncelle pour proclamer que la culture avait vaincu la dictature.

La culture vivante exprime le mouvement souterrain des sensibilités, des idées, des visions du monde. Non seulement elle précède les révolutions, mais elle les finit par les déclencher, si elle est réprimée trop longtemps. Exilés, persécutés par les pouvoirs, Voltaire et Rousseau ont démontré que leurs écrits possédaient une puissance qui dépassait celui des monarchies absolues, au point de les renverser. Le pouvoir, tous les pouvoirs même les plus tempérés, ont donc des raisons de se défier de la culture dont la fonction est de les contester.

La politique doit s’occuper de culture parce que la culture s’occupe de la politique. Pour le meilleur et pour le pire.

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