Une chronique politique sans parti pris

Les doxas contre le droit.

On appelle doxa un ensemble d'opinions, de préjugés communs ou particuliers, de présuppositions tantôt généralement admises, tantôt contestées par certains. Pour la doxa gauchiste, les riches sont corrompus, pour la doxa populiste ce sont les parlementaires, pour la doxa nazie ce furent les juifs, pour la doxa écologiste ce sont les producteurs, pour la doxa bigote ce sont les musulmans. Par méthode, le droit tente précisément de dissoudre ces doxas contradictoires dans une règle universelle. Ainsi, pour vivre ensemble, chacun doit observer la loi, toute la loi, mais rien que la loi. Au-delà, la bienfaisance et le mécénat sont disponibles et recommandables. Sinon c’est l’arbitraire, le conflit de diverses doxas antinomiques, c’est-à-dire l’Etat de non-droit. Selon les articles 11 et 12 de la Déclaration des Droits de l’homme : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international.»

Plusieurs exemples démontrent que cette prescription est régulièrement violée, même en Suisse. Parmi les scandales récents, il y eut le cas d’école du conseiller fédéral Schneider Amman, optimisant la taxation de sa société en recourant aux paradis fiscaux, et celui du président de la BNS Philip Hildebrand, utilisant les déductions fiscales pour payer un impôt dérisoire. Après une révélation médiatique de leurs pratiques, qui furent jugées méprisables, il s’est avéré ensuite qu’elles étaient parfaitement conformes à la loi. Mais leurs réputations en demeurent entâchées.

De même la mésaventure de la conseillère nationale Margret Kiener Nellen, ne payant pas d’impôts du tout, révéla un paradoxe contraire à la doxa socialiste. Selon celle-ci, les riches devraient payer pour les pauvres, afin de redistribuer les revenus et les fortunes. En réalité les riches, y compris elle-même, parviennent, en toute légalité, à payer moins d’impôts que les citoyens ordinaires, voire pas du tout. Enfin récemment un député de droite du grand Conseil vaudois fit en séance un procès interminable de l’ancien conseiller d’Etat socialiste Pierre Chiffelle, sous le prétexte insidieux que celui-ci touchait sa pension tout en se livrant à une activité d’avocat, ce qui n’a rien d’illégal.

Dans ces deux derniers cas, le discours de droite feint de croire que, selon la doxa socialiste, le respect strict des lois est insuffisant. Un riche devrait payer plus d’impôts que ce qu’il doit exactement ou s’abstenir de toucher la pension qui lui est due. S’il est riche, pèse déjà sur lui un soupçon d’immoralité foncière. Comment est-il possible qu’il soit devenu riche ? Comment peut-on être socialiste et ne pas être pauvre, ce qui constituerait sinon une excuse, du moins une explication ?

Dans tous les cas, on reproche à une personne non pas d’avoir commis un délit au sens de la loi, mais plutôt une faute morale. Les uns, à droite, ont assez de sang-froid pour répliquer que ce reproche ne les concerne pas, certains à gauche tergiversent voire regrettent leur attitude.Or, qui s’excuse, s’accuse. Et l’accusateur, qui est à l’évidence un diffamateur, jouit de la caution de sa victime, trop scrupuleuse. Morale et politique n’ont jamais fait bon ménage. Comment les faire coexister ? Platon, Kant et Machiavel n’ont pas trouvé une solution acceptable. Nous y renoncerons donc.

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