Une chronique politique sans parti pris

Le droit ecclésial peut-il primer le droit civil?

En Suisse, la Confédération n’entretient pas directement de lien avec les Eglises, mais laisse ce soin aux cantons afin d’éviter des conflits entre confessions, qui entrainèrent une guerre civile en 1847 encore. Les cantons adoptent des politiques variables allant de la séparation Etat-Eglise des cantons de Genève et Neuchâtel jusqu’au soutien simultané des Eglises catholiques et réformées ainsi que de la communauté israélite par le canton de Vaud au niveau de 61 millions de CHF. Dès lors le pouvoir cantonal exerce une tutelle discrète tant il est vrai que celui paie est celui qui commande : à titre d’exemple l’évêque Wolfgang Haas, nommé évêque de Coire en 1990, déplut à une majorité de paroissiens. Il fut déplacé en 1997au Liechtenstein promu pour l’occasion au rang d’archidiocèse, suite aux pressions des cantons du diocèse de Coire.

 

La direction des Eglises cantonales est ainsi partagée entre les autorités ecclésiales, uniquement responsables du spirituel, et les corporations ecclésiastiques, en charge de la gestion matérielle, qui représentent par ce détour les fidèles. Récemment une manifestation de cette dyarchie s’est produite dans les cantons de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne. Les catholiques ont accepté, par respectivement 81,8 % et 87,4 % de oui, une initiative pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'Eglise. Elle demande un accès au sacerdoce non lié à l'appartenance sexuelle ou à l'état civil, c’est-à-dire l’ordination de femmes et aussi d’hommes mariée. Le parlement de l'Eglise catholique romaine de Bâle-Ville avait reconnu en 2012 la validité de cette initiative.

 

Pour la première fois dans le monde, une demande formelle de chrétiens pour l’égalité face au sacerdoce a donc été inscrite dans une constitution de droit public ecclésiastique. Cette décision n'aura pas d'effet direct au plan ecclésial. En raison de la séparation des pouvoirs, les corporations ecclésiastiques ne sont pas en mesure d'imposer à l'évêque de Bâle l'ordination de femmes prêtres, contraire au droit canonique promulgué Par le Vatican. Les initiateurs de cette consultation soulignent cependant dans un communiqué de presse que c'est un signal indiquant, « face à la constitution hiérarchique et patriarcale de l'Eglise, que le peuple de l'Eglise souhaite ardemment un changement des critères d'accès à la prêtrise (…) Selon le désir des femmes et des hommes catholiques des deux cantons de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne les femmes doivent pouvoir participer d'une façon égalitaire aux décisions prises par l'Eglise. Nous souhaitons une orientation suivant la pratique du début du christianisme, dans laquelle le célibat obligatoire des prêtres n'était pas encore légiféré et ou les croyants pouvaient élire une femme pour la direction de la communauté. Nous espérons que ce signe sera compris par les organes de décision exclusivement masculins de notre Eglise. Nous espérons aussi que d'autres Eglises cantonales vont suivre. »

 

Le sentiment démocratique est à ce point constitutif de la culture helvétique que ce genre de consultation ne restera pas indéfiniment lettre morte. En particulier les évêques participant à un synode romain se sentiront tenu d’en tenir compte. Le pouvoir ecclésial sera obligé tôt ou tard de s’aligner sur les avancées de la société civile, dont l’égalité de tous est un des acquis les plus tangibles. Ainsi l’article 5 de la loi vaudoise sur la relation entre Etat et Eglises spécifie : « La communauté requérante reconnaît le caractère contraignant de l'ordre juridique suisse, en particulier les droits constitutionnels, en matière de religion et de croyance ainsi que le droit international ayant trait aux droits de l'Homme et aux libertés fondamentales, droit qui instaure l'interdiction de toute forme de discrimination, en particulier entre les femmes et les hommes dans la société. »

Ce texte est-il contraignant au point de refuser la reconnaissance d’institution de droit public à une Eglise qui discrimine entre hommes et femmes ? Manifestement pas selon la jurisprudence actuelle du canton de Vaud. Restera-t-elle immuable ? Quelle attitude prendrait le canton si une clinique, une école, un EMS pratiquait une forme quelconque de discrimination ? Telle est la question, d’autant plus que la majorité des fidèles de cette Eglise s’insurgent contre cette différenciation.

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