Une chronique politique sans parti pris

Il ne faut pas priver l’EPFL des moyens de se développer

On sait que l’EPFL connait une période de succès spectaculaire, due dans une large mesure à la présidence éclairée et dynamique de Patrick Aebischer. Comme il fallait s’y attendre, cette réussite attire 4992 étudiants venus du monde entier qui représentent maintenant la moitié des 9868 du total. On ne peut que s’en féliciter : la Suisse souffre en permanence d’une pénurie de personnel qualifié pour son industrie. Pour la pallier elle dispose de trois ressources : recruter davantage d’étudiants et surtout d’étudiantes suisses pour les EPF et les HES, engager du personnel formé à l’étranger ou laisser largement ouvertes ses universités à des étudiants venus de l’extérieur.

La première solution est limitée : en effet le bassin de recrutement d’étudiants suisses est limité par une démographie insuffisante et par la dispersion de l’enseignement secondaire entre 26 systèmes que le programme Harmos ne parvient pas à coordonner. A titre d’exemple, certains cantons abandonnent l’enseignement de la trigonométrie ce qui ne crée évidemment pas les meilleures conditions de recrutement pour des études scientifiques et techniques.

La seconde solution est précaire : la Suisse ne peut pas indéfiniment se reposer sur les pays voisins pour former ses spécialistes. Une industrie de pointe est obligée non seulement de recruter mais aussi de former ses spécialistes en provenance du monde entier. Sinon elle décline.

Et donc la troisième solution est la plus adéquate, former en Suisse des étudiants étrangers qui demeureront en Suisse dans une large mesure comme la loi les y autorise. D’une certaine façon la Suisse joue par rapport au continent européen le même rôle que la Californie pour les USA et doit donc en tenir compte : il faut recruter le plus large possible. Un étranger muni d’une maturité représente déjà un investissement de son pays d’origine et non une charge pour la Suisse.

Or l’EPFL est maintenant saturée. Pour maintenir la qualité de l’enseignement, strictement conditionnée par les moyens mis à disposition par le Conseil fédéral, elle demande de pouvoir appliquer un numerus clausus dès la première année de bachelor aux étudiants étrangers. D’une certaine façon, l’école applique déjà une sélection fondée sur les notes obtenues à la maturité étrangère, soit une note 16 pour un bac C français. Cette sélection crée un auditoire composé pour moitié d’étudiants étrangers de haut niveau et pour l’autre moitié d’étudiants suisses qui doivent seulement disposer d’une maturité, sans exigence de sélection. Or la réussite de ces études dépend de la formation antérieure et absolument pas de la couleur du passeport. On constate donc qu’au fil des examens la proportion des étudiants étrangers augmente automatiquement jusqu’à atteindre 75% pour le doctorat, ce qui est un signe d’excellence et pas du tout un échec ou un embarras.

Les facultés de médecine appliquent depuis 1998 un numerus clausus, de droit ou de fait, dont le résultat est désastreux : la Suisse manque de médecins, généralistes et spécialistes. L’année passée, elle a recruté plus de jeunes médecins étrangers qu’elle n’en a formé elle-même. Appliquée aux EPF, la même cause produira le même effet, une aggravation de la pénurie de personnel qualifié pour l’industrie. C’est une mesure contreproductive, due à un manque de vision politique au plus haut niveau.

Le Conseil fédéral doit maintenant faire face au problème avec une solution réaliste et courageuse, la seule possible : augmenter les moyens mis à disposition de l’EPFL pour leur permettre d’accueillir un nombre croissant d’étudiants. Si l’ETHZ a les moyens d’accueillir aujourd’hui 15 000 étudiants, on ne voit pas quelle raison décisive empêcherait l’EPFL d’atteindre le même enrôlement dans l’avenir.

Par nature, une école francophone attire forcément plus d’étrangers qu’une école de langue allemande : dans le monde il y a 220 millions de francophones le double des germanophones. Il faut en profiter et non s’en priver. Ce n’est pas parce que les Suisses romands sont minoritaires dans leur pays que leur école d’ingénieur doit le demeurer indéfiniment. D’ailleurs à partir du master la langue d’enseignement qui dans les universités de technologie devient l’anglais. Et donc la compétition entre les deux écoles fédérales se déroulera surtout en matière de qualité. Il faut leur en donner les moyens.

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