Une chronique politique sans parti pris

Trois semaines de langue de bois

Au terme d'une session parlementaire (90 heures), on a entendu plusieurs centaines d'interventions qui se ressemblent tellement qu'ils est impossible de se souvenir d'aucune d'entre elles. Elles répètent inlassablement les mêmes banalités.

Elles dessinent un portrait de cette strate de notables helvétiques, qui partagent bien des ressemblances au-delà de leur prétendues oppositions, d’un groupe social, aussi unanime dans la défense globale de ses privilèges que déchiré dans leur répartition. Cette oligarchie est d’autant plus intéressante qu’elle règne dans et sur un pays qui se veut ou se croit une démocratie intransigeante. Même dans ce  contexte, la course au pouvoir se déroule selon des règles immuables qui assurent sa confiscation inéluctable. Ailleurs il y a au moins une majorité et une opposition qui, en se contredisant, finissent malgré tout par dire quelque chose. Ici le consensus aboutit au conformisme conceptuel.

Comment parler longuement pour ne rien dire du tout? Le candidat notable doit apprendre à dissimuler ce qu’il pense et, mieux encore, s’abstenir de penser, pour ne point avoir à dissimuler. Il n’est guère gratifiant pour ce candidat, devenu professionnel, de placer ainsi sa conscience, sa raison et sa mémoire en veilleuse. Il est embarrassant de prédire un avenir auquel il ne croit qu’à moitié ou même pas du tout.  Il n’énonce jamais le véritable mobile de son attitude, parce que celui-ci est peu avouable. Il utilise donc une foule de mauvaises raisons auxquelles il ne croît qu’à moitié : statistiques tronquées, citations faussées, références inventées, raisonnements approximatifs, évocation rituelle des grands idéaux. Plus l’orateur est éloquent, moins il est transparent. Plus il hausse la voix, plus il cherche à étouffer celle de sa conscience. Comment peut-on vivre, jour après jour, dans cette schizophrénie?

Ceci n’est pas à la portée de tout le monde. Il existe un sous-ensemble de notables dont la conscience est psychorigide : leur éducation produisit des êtres foncièrement honnêtes, quelque effort qu’ils aient déployé pour s’en corriger. Les rares destinataires de cet éloge constituent donc des exceptions confirmant la règle. A la stupéfaction générale, ils gèrent ou gouvernent pour le bien commun. On leur prête donc des secrets encore plus honteux, des arrière-pensées davantage obscures, des calculs incroyablement sordides, des spéculations inimaginables. L’honnêteté absolue ne pouvant par définition subsister en politique, les plus honnêtes deviennent les plus suspects et ils sont attaqués par les authentiques tricheurs à l’égard desquels ils constituent un insupportable reproche. Il faut feindre d’être honnête, véridique et désintéressé, ni plus, ni moins. Moins c’est de la maladresse, plus c’est de l’arrogance.

Mais quel ennui de vivre trois semaines dans un déluge d'impostures distinguées!

 

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