Une chronique politique sans parti pris

La logique enfantine confrontée aux impératifs douaniers

«A l'avenir, une seule catégorie "viandes et préparations de viandes" est soumise à une limite d'un kilo. En cas de dépassement, un tarif douanier unique de dix-sept francs par kilo a été fixé.» Toujours soucieuse de préserver le duopole Coop-Migros, la Confédération vient de donner un tour de vis à l’importation d’emplettes alimentaires. On revient aux vieilles méthodes d’avant l’ouverture des frontières.

Préalablement à l’imposition des contingents aux immigrants, on exige des quotas sur le steak. Voici vingt ans, à deux ma femme et moi avions droit tout juste à une côte à l’os de Charolais d’un kilo, par ailleurs introuvable dans le commerce local, spécialisé dans la carne fibreuse de la vache alpestre. Notre enfant âgé de neuf ans, qui nous accompagnait, ne jouissait pas du droit d'importer de la viande. Il n’aurait obtenu ce privilège qu’à seize ans. Jusque-là, ceinture. Je le lui expliquai un jour en lui cédant un morceau de ma côte à l'os provenant de Charolles, via Annemasse:

– Mon cher, tu remarqueras que tes parents se sacrifient pour toi, une fois de plus. Si nous écoutions le Conseil fédéral, tu ne devrais pas manger de viande avant l'âge de 16 ans. Le Charolais, comme le vin, n'est pas pour les enfants. Tes parents sont trop faibles avec toi.

– Et les enfants des Conseillers fédéraux, ils ne mangent pas de Charolais?

– Bien sûr que non. En les nourrissant de viande dure à la mastication pendant leur jeunesse, ils deviennent résistants aux épreuves. Plus tard, ils feront d'excellents Conseillers fédéraux, comme leurs papas. C’est la réserve de recrutement du Conseil fédéral.

– Ah oui, c’est malin! Mais pourquoi le Conseil fédéral ne veut pas que les autres enfants mangent du Charolais?

– Comme cela, il y aura des vocations de Conseillers fédéraux parmi ces enfants. Il y aura de plus en plus de candidats. Le Conseil fédéral apprécie tellement son métier qu'il voudrait que tout le monde s’y intéresse. C’est ce que l’on appelle la démocratie directe. Un instant de réflexion. L’enfant fronce le front, signe d'intense réflexion. Puis il poursuit avec une logique implacable:

– Si tous les enfants étaient privés de viande, ils deviendraient tous Conseillers fédéraux?

– C'est évident. Tu m'as bien compris.

– Mais si les enfants de Conseillers fédéraux mangeaient du Charolais, ils choisiraient plus tard un autre métier que celui de leur père?

– C'est clair. Tu m'as bien compris. Tu fais de grand progrès en logique formelle. Je suis fier de toi.

– Il n'y aurait plus de Conseil fédéral du tout alors?

– C'est évident.

– Alors tous les enfants pourraient manger du Charolais?

– Bien sûr. L’enfant réfléchit encore une fois, puis il me tendit son assiette:

– Papa, tu vas donner ma viande à un enfant de Conseiller fédéral!

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