Après le vote du 9 février des voix autorisées ont manifesté gravement leur contrariété. Le gouvernement, le parlement et les médias, étaient mécontents du peuple: au point que, s’ils l’avaient pu, ils auraient changé de peuple. En visite officielle, le président de la République fédérale d’Allemagne rajouta: «la démocratie directe est dangereuse». Certes en 1934 ce fut un plébiscite qui donna le pouvoir à Hitler par 89% (!) des voix. Mais le parlement allemand ne fut pas plus lucide.
Ni la démocratie directe, ni la démocratie représentative ne constituent la perfection des institutions et la fin de l’histoire. L’élection d’un parlement consent au peuple une fois tous les quatre ans le pouvoir d’approuver ou de sanctionner la politique. Cependant ce jugement global ne peut pénétrer dans le détail des décisions passées du pouvoir. C’est frustrant, s’il n’y a pas de soupape de sureté.
En revanche, la démocratie directe presse le peuple d’assumer chaque décision importante. Il a le dernier mot. Cela ne veut pas dire qu’il a toujours raison. Car, en politique, personne ne sait à l’avance si une décision est bonne: certaines lois votées par le parlement constituent des erreurs. Dès lors que le peuple est le souverain, il ne peut s’en prendre au pouvoir, en le contestant par des grèves, des émeutes, des violences. S’il s’exprime dans les urnes, il n’est pas réduit à le faire dans les rues. Mieux vaut un bulletin de vote que des cocktails Molotov. Tel est le plus grand avantage de la démocratie directe. Le peuple est souverain, à la façon d’un monarque absolu. Il décide parce que tel est son bon plaisir, sans devoir se justifier et argumenter. Parfois il se trompe, comme le firent ailleurs et jadis les rois ou comme aujourd’hui le font encore les dictateurs. Mais, puisqu’il est surhumain de reconnaitre ses propres erreurs, le peuple demeure perpétuellement content de lui-même, ce qui est l’essentiel.
Bien sûr la démocratie directe a aussi des inconvénients. Le gouvernement et le parlement ne peuvent prendre certaines décisions, qui sont certes nécessaires mais tellement impopulaires qu’ils seraient désavoués. Et la comparaison avec les voisins est invariablement positive pour la Suisse: moins de chômage, moins de dettes, un niveau de vie plus élevé, la plus longue espérance de vie, une monnaie stable, une généreuse qualité de vie. Pour les politologues, c’est fâcheux. A quoi bon élaborer savamment des lois, si le peuple fait aussi bien en s’abandonnant au hasard à ses passions les plus élémentaires. Il y a de quoi fermer les Facultés de Droit. Toutes ces considérations sont du reste académiques. Par définition, une fois que l’on s’est engagé en démocratie directe, il est impossible d’en sortir car il faudrait que le peuple abandonne le pouvoir. Le gouvernement ne peut se révolter contre le peuple. On put décapiter Louis XVI, on ne pourra trancher les têtes de tout un peuple.
