Dans l'édition de dimanche de Forum sur RTS, je suis intervenu pour commenter la déclaration de Serge Klarsfeld selon laquelle le chiffre de Juifs refoulés durant la Seconde Guerre mondiale aurait été surestimé par la commission Bergier. Ce ne serait pas plus que 3000.
J'ai eu l'audace de dire au micro que le chiffre exact avait moins d'importance que le fait du refoulement lui-même.
Aussitôt j'ai reçu deux courriels indignés, m'accusant d'avoir critiqué la Suisse. Ces courriers m'inquiètent vraiment par la mentalité dominante dont ils témoignent. Ils aimeraient bien que rien ne se soit passé. Ou tellement peu. Presque rien du tout.
Mon propos est simple : il y a un certain nombre de juifs refoulés, mettons entre 3000 et 24000.
L'erreur a été d'en refouler. Elle ne dépend pas du chiffre de refoulés. Ceux-là ont été à la mort. Ce sont ceux-là qui comptent. Tant mieux pour ceux qui ont été sauvés.
Le danger de cette discussion, c'est que l'on finisse par croire que c'est moins grave parce que le chiffre serait plus bas. J'ai rappelé que les nazis ont apposé une lettre J sur les passeports des Juifs allemands, à la demande du gouvernement suisse. Il y a donc bien eu une décision prise par le politique pour refouler. Ce n'est pas un hasard, ce n'est pas une maladresse de quelques gardes frontières.
Les négationnistes utilisent toujours le même discours : "non, vous exagérez en disant qu'il y a eu six millions de morts, il n'y en a eu que quelques centaines de milliers. Donc, au fond c'est beaucoup moins grave. A la limite, il ne s'est rien passé ou rien que d'ordinaire dans une guerre."
La Suisse a sauvé des Juifs, tant mieux mais elle aurait pu faire encore mieux. Elle n'endosse pas la lourde culpabilité de tous les pays voisins qui ont vraiment mis des Juifs dans des camps. Mais elle n'a pas été parfaite. Elle n'était certainement pas obligée de réparer complètement les crimes commis par les autres. Elle aurait été grandie en le faisant. Elle l'a fait mais à 3000 ou à 24000 près. Dommage pour ceux-là.
En revanche, il n'y aura jamais d'excuses pour ceux qui ont commis le crime ou pour ceux qui n'ont pas porté secours à des gens en danger de mort. Ou pour ceux qui ont tué un Juif à Payerne uniquement parce qu'il était Juif.
Il y a eu aussi des héros, des justes parmi les justes. Un chef de police qui désobéissait aux ordres et qui a été lourdment sanctionné. Et réhabilité péniblement après sa mort.
Tout cela a vraiment existé. Et ceux, qui aimeraient l'oublier, sont aussi ceux qui sont prêts à recommencer. Pas avec les Juifs. Le sujet est en quelque sorte épuisé par l'obsession nazie. Mais ils ont envie de recommencer, avec les musulmans par exemple. Ou les Roms.
Ils disent volontiers que tous les hommes sont égaux. Mais eux, ils sont plus égaux que les autres.