Une chronique politique sans parti pris

L’armée des jours ouvrables

A force de rôder à Berne dans les assemblées, les corridors et de lire les rapports, les messages et les prises de position, on découvre des choses intéressantes dont on n’imaginait même pas qu’elles puissent exister. Ainsi dans la controverse interminable sur l’achat pour plus de trois milliards des avions Gripen, le département de la défense a publié une note de motivation.

On y apprend que les Forces aériennes assurent une mission de sauvegarde de l’espace aérien durant les seuls jours ouvrables par suite des ressources limitées en personnel et en finance. Les radars en revanche surveilleraient tout le temps. Mais d’abord on ne comprend pas à quoi cela sert puisqu’il n’y a pas de moyens d’intervention disponibles et ensuite, c’est faux. Une visite impromptue voici quelques années à la station radar militaire située sur la Plaine Morte nous apprit qu’effectivement il ne fonctionnait que durant les jours ouvrables. Mais au département de la défense on ignore ce détail, qui serait certainement connu de nos ennemis potentiels, s’ils existaient.

On apprend encore que de toute façon, en temps de paix, abattre un objet volant non coopératif n’est pas une option acceptable. Là aussi le ministre en charge, l’excellent Ueli Maurer, n’est pas au courant. La seule fois, où récemment des avions militaires violèrent notre espace aérien, se produisit pendant la guerre d’Irak : des avions américains, un peu pressés, traversèrent notre ciel sans demander la permission. Interrogé au parlement sur sa réaction au cas où cela se reproduirait, le ministre affirma froidement que ces avions seraient abattus. Cela procède donc de sa seule imagination et de la pose héroïque qu’il affecte dans le débat politique.

Enfin on peut se demander si un Gripen serait capable le cas échéant, les jours ouvrables, de remplir cette mission d’interception, sachant qu’un avion militaire de haute performance traverse le ciel suisse en huit minutes et que le Gripen n’est pas un avion parmi les plus rapides. Le Rafale atteint Mach1.8 et le Gripen Mach 1.2.

Si la gendarmerie autoroutière fonctionnait comme nos forces aériennes, cela signifierait ceci : les chauffards sont prévenus qu’il n’y a pas de patrouille le samedi et le dimanche. Les jours de semaine, la surveillance est effectués à bord de vélos avec lesquels les gendarmes se font forts de rattraper une Maserati. Le cas échéant, faute d’y réussir, ils établiront des barrages routiers, mais ils n’y feront pas usage de leurs armes.

Dans son infinie sagesse, le département de la défense a procédé à une analyse des dangers réels et a conclu qu’ils n’existent pas. En revanche la gendarmerie sait que les chauffards dangereux circulent tout le temps. Pourquoi allons-nous dépenser plus de trois milliards pour nos forces aériennes ? Personne à Berne ne le sait.

Quitter la version mobile