La vieillesse est une maladie incurable

Le dernier tabou

Celui de la mort. Voilà que le coronavirus nous force à la regarder en face .

En France, on essaie encore de l‘escamoter. Les vieux sont confinés dans leurs chambres sans voir personne. Ils finissent par mourir en s‘étouffant.

On voudrait ne pas le savoir, mais on le sait. On sait aussi que si on leur demandait leur avis, ils préfèreraient peut-être pouvoir dire au revoir à leurs proches avant d‘être endormis. Chaque anesthésiste – réanimateur sait endormir un patient. S‘il ne le réanime pas, le patient meurt, sans souffrir.

Il ne s‘agit pas de “tuer” le patient comme le disent les partisans du laisser souffrir. Le médecin sait abréger les souffrances qui précèdent la mort. Pourquoi ne pas permettre aux médecins d‘aider les vieillards atteints du virus à mourir en douceur ? Il faut enfin briser ce tabou autour de la mort : nous sommes des êtres mortels et il est inutile de prolonger la souffrance des patients et de leurs proches en sachant que la mort sera inévitable.

On fait des tris maintenant. Qui les fait ? Pas les patients, encore une fois les médecins.

Quand aurons – nous le droit, en France, de décider pour nous-mêmes, comme en Suisse, en Belgique ou en Hollande ?

Lorsque j‘étais petite, on ne parlait pas de sexe. Il a fallu mai 68 pour accéder à la liberté sexuelle pour les filles grâce au droit à la contraception et à l’IVG.  Puis dans les années 80, d’ un seul coup, le vih / sida met une fin brutale à ce climat d’insouciance et de liberté.

En même temps, ce terrible virus a fait voler en éclats le tabou autour du sexe. Il fallait en parler aux ados en termes crus et techniques. Leur expliquer qu’on était des êtres sexués avec des pulsions sexuelles qu’on voulait pouvoir assouvir. On ne pouvait plus prêcher l’abstinence, il a donc fallu parler de l’importance des préservatifs et de comment les utiliser correctement.

Aujourd’hui, confrontés à un nouveau virus meurtrier, nous ne pouvons plus faire semblant d’être immortels. Par contre, nous pouvons et nous devons pouvoir choisir comment nous allons mourir.

Au moment où des personnes meurent un peu partout sous nos yeux dans des conditions parfois inhumaines, il est criminel de ne pas aborder ce sujet avec lucidité et humanisme.

 

 

Je vous propose de lire cette lettre, écrite par Jean-Claude Larrat, dans le contexte de la pandémie COVID-19:

 

Parmi les constats les plus tragiques partagés par les soignants et plusieurs observateurs dont Le Monde a publié les analyses, il est de plus en plus souvent nécessaire, à cause du manque de moyens matériels, de faire un tri entre les patients qui « mériteront » une réanimation et les autres. Je n’ai pourtant jamais vu apparaître la question qui en découle logiquement et qui, vu mon âge, me préoccupe personnellement : que fait-on de ces autres ? Les abandonne-t-on à leur triste sort en les laissant agoniser jusqu’à leur mort « naturelle » ? Quand on sait que cette agonie par asphyxie est parmi les plus atroces, ne pourrait-on demander à ces patients (sans jamais les y forcer, bien sûr) s’ils ne préfèrent pas qu’on leur procure une fin de vie douce et rapide ? Ne pourrait-on autoriser officiellement alors les médecins à pratiquer cette assistance au suicide (à ne pas confondre avec une euthanasie dont ils porteraient seuls la responsabilité) qui leur est aujourd’hui encore formellement interdite par les lois françaises ?

Ce que révèle, entre autres choses, la situation tragique où nous jette brusquement la pandémie, c’est ce que l’on pourrait appeler le réveil des consciences. Jusqu’ici on pensait avoir presque complètement exonéré les médecins des cas de conscience liés à la fin de vie – par des principes très simples et tout l’outillage technique permettant de les appliquer. « Je prolongerai votre vie, disaient-ils aux malades, tant que la science et les techniques me le permettront, et votre avis m’importe peu ». Ces moyens techniques étaient supposés suffisamment abondants et puissants pour être appliqués à tous les patients sans distinction. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et les médecins se trouvent donc confrontés à la redoutable responsabilité de devoir trier leurs malades en fonction de critères mal définis mais en absolue contradiction, en tout cas, avec l’éthique qui les guidait et les protégeait à la fois. Du même coup, c’est aussi la conscience des patients qui se trouve réveillée et à laquelle on doit faire appel. Elle ne jouait, jusqu’ici, aucun rôle : on les soignait jusqu’à la mort, sans leur demander ce qu’ils en pensaient. Le moins que l’on puisse faire désormais pour respecter leur dignité et leur liberté d’êtres humains qui ont pratiquement perdu tout espoir de guérir est de leur proposer l’alternative entre une agonie « naturelle » et un suicide assisté, dans la sérénité et le respect de leur liberté de conscience.

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