Migration et intégration(s)

Seins moqués ou saint Moka ?

Neuchâtel. 7h30 du mat. Juin 2021 bat son plein. Le bus dans lequel je suis s’arrête brusquement. Un malaise s’empare tout à coup de moi, non pas à cause d’un mal des transports (mon ventre va bien), mais à cause de ma tête qui tourne. Elle tourne vers la gauche et voit une petite fourgonnette estampillée de la marque Au Moka. Je découvre alors l’image d’une femme noire, nue jusqu’aux seins, portant des plumes sur la tête. Il fait chaud, mes poils s’hérissent. Mais pourquoi ?

Étrange, d’autant plus que la veille j’avais discuté avec Thaís Silva Agostini de son travail en tant que responsable du projet « se respecter », service d’écoute et de conseil contre le racisme à Fribourg. Elle m’avait évoqué, en partie, ses expériences personnelles et professionnelles avec le racisme et la discrimination. Elle m’avait parlé de l’Histoire et des milieux militants. Je l’écoutais.

Dessins animés

Mais pourquoi cette image me dérange ? J’essaie de rationaliser, de contextualiser, mais malgré moi je suis projetée vers des siècles passés : « ai-je déjà vu quand je voyageais sur le continent africain ou ailleurs dans le monde des femmes noires avec des plumes sur la tête ? ». Je fouille dans les archives de ma mémoire et, au plus lointain, j’y trouve un dessin animé : Pocahontas, qui n’est pas Africaine, avec ses plumes et ses mocassins. Je repense à son histoire aux 16 et 17èmes siècles et à l’arrivée des colons. Je fouille encore et je vois Joséphine Baker en spectacle, tel un dessin qui s’anime, avec des plumes et des seins nus. Je repense à son histoire et à ses combats d’émancipation. Je fouille encore et j’entends Gainsbourg chanter « (…) Que j’aime ta couleur café (…) C’est quand même fou l’effet que ça fait de te voir rouler ainsi des yeux et des hanches, si tu fais comme le café, rien qu’à m’exciter (…) ».

Ce corps, l’envers du décor

Que raconte l’image de ce corps alors ? Que montre-t-il de nos rapports conscients et inconscients avec la femme en général et la femme noire en particulier ?

Plus tard dans la matinée, j’envoie un email à Thaís Silva Agostini qui me répond : « C’est dommage de voir une telle image en tant que marque identitaire d’une entreprise. Après tout ce qui s’est passé avec les manifestations liées au mouvement Black Lives Matter l’an dernier, la prise de conscience de ce racisme « invisible » peine à se concrétiser. Il y a malheureusement beaucoup d’agressions quotidiennes qui ne sont aperçues que par des personnes concernées (…)».

Thaís rajoute encore : « Je me sens aussi concernée par l’image de cette femme noire aux seins nus et des plumes aux cheveux dans un contexte « exotique », à savoir le café/moka qui est le produit de cette marque. Le racisme qui existe à l’encontre de la femme noire – toujours sexualisée – concerne aussi toutes les autres femmes auxquelles l’inconscient collectif rattache les mêmes stéréotypes. Nous, les femmes Sud-Américaines, sommes toujours ramenées aussi à cette même sexualisation. J’ai déjà vécu en Suisse beaucoup de situations très gênantes, analogues à celles qui sont témoignées par les femmes noires. Le racisme que nous, Sud-Américaines, subissons n’est pas encore connu ; sauf par nous, les femmes Sud-Américaines. Y penser me rend triste et, parfois, même colérique. »

Il n’est pas toujours aisé de déconstruire nos schémas de pensée et nos stéréotypes conscients et inconscients, mais l’on peut toujours tenter de réfléchir et se poser des questions. Alors que dire : seins moqués ou saint Moka ?

 

* Image de mise en avant tirée du site www.maxicoffee.com

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