Certes, la comparaison pourra faire grincer quelques dents. Trop frivole pour le goût des uns, trop osée pour celui des autres, elle suscitera ire ou approbation. Choisie à dessein après la rupture unilatérale de l’accord-cadre avec l’Union européenne, elle décrit l’attitude d’une Suisse qui, telle une femme d’un amour précaire, décide de quitter le lit conjugal. Se plaignant alors que son compagnon ne lui ait pas fait d’enfant, elle se présente comme la victime d’un effroyable stratagème bureaucratique et anti-démocratique. Ne trouvant d’autre porte de sortie que celle d’en appeler à une souveraineté immaculée, elle se réfugie derrière une morale indûment réparatrice qu’elle ne cesse de porter aux nues.
Trop beau pour être vrai, ce conte de fées ne tient pas la route un instant. Discours savamment entretenu par la bien-pensance helvétique, il se meut en appareil idéologique d’État pour se dédouaner d’une responsabilité que les autorités politiques refusent ostensiblement d’assumer. Avec pour principal argument celui d’accuser toujours la partie adverse, celles-ci inversent les rôles et s’attribuent une vérité à laquelle elles sont les seules à prêter allégeance.
Une simple piqure de rappel ne semble toutefois pas faire son effet. Seule une double dose permettrait, à première vue, de remettre les pendules à l’heure. À celles qui sonnent le glas d’une écriture erronée que le Conseil fédéral s’efforce néanmoins d’appliquer à sa guise. Seul maître à bord, il omet de réfléchir au-delà de son propre logiciel cognitif et fait volontairement fi de ce que son vis-à-vis pense de lui. Ne croyant qu’à sa parole, il n’accorde aucune attention à celle des autres, persuadé qu’il n’y a que la sienne qui vaille.
Ce mode de raisonnement n’a pas changé d’un iota depuis des dizaines d’années. Il installe la Suisse dans la durée d’une logique bilatérale à long terme et renforce Berne dans sa conviction qu’il n’existe aucune autre issue dans ses relations avec l’UE. Avis partagé par une très large majorité de citoyens, souvent en contradiction parfaite avec celui des autres Européens, il s’est établi au fil du temps et ne saurait être remis en cause par une population qui n’a jamais su appréhender la question européenne hors de ses frontières helvético-suisses.
Emmurés dans leur mentalité du réduit, dans leur mythe du Sonderfall, les Suisses ont peine à s’imaginer une Europe qui se forge au gré d’un processus collaboratif auquel ils ont du mal à s’associer. Récusant plus qu’il n’en faut les concessions qui s’imposent, ils se cloîtrent derrière leurs convictions et en appellent à leur sens presque biblique du compromis qui se heurte pourtant au mur des lamentations nationales et cantonales. Apôtre autoproclamé du consensus et de la collégialité sur le plan intérieur, la Suisse s’illustre alors par son comportement anti-consensuel et anti-collégial sur les plans, extérieur et européen.
Fort de ce qu’il pense être son bon droit, le gouvernement bernois n’a pas changé de registre depuis la rupture unilatérale de l’accord-cadre le 26 mai 2021. Ce choix s’inscrit dans une tradition profondément anti-européenne d’un pays qui n’a pas encore compris que les autres ont également leur mot à dire. Dernier exemple en date, la vaine tentative de réintégrer les universités helvétiques dans le programme de recherche « Horizon Europe ». À l’image de son Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation, le Conseil fédéral s’en est directement pris à l’UE et est allé crier famine auprès de la Commission européenne. Malgré quelques pressions, celle-ci ne s’en laissera certainement pas conter. C’est ce que devrait d’ailleurs rappeler son vice-président Maroš Šefčovič à ses interlocuteurs lors de sa prochaine visite qu’il effectuera le 15 mars prochain sur les bords de l’Aar, mais aussi à l’Université de Fribourg.
Non seulement aura-t-il beau jeu de rappeler que le Conseil fédéral porte à lui seul l’entière responsabilité de l’exclusion de la Suisse de ce programme, mais aussi que rien ne s’oppose à sa réintégration dès la signature et l’adoption d’un nouvel accord entre Berne et Bruxelles. Dans sa besace, le Commissaire apportera aussi les conclusions du compromis que viennent d’adopter, le 27 février dernier, l’Union européenne et la Grande-Bretagne, mettant fin au différend qui les opposait à propos de l’Irlande du Nord. S’inspirant presque mot pour mot des propos qu’Ursula von der Leyen a tenus en présence de Rishi Sunak, Maroš Šefčovič aura tout loisir de déclarer devant un auditoire tout ouïe qu’il est « heureux de commencer immédiatement, dès maintenant, le travail sur un accord d’association qui est la condition préalable pour rejoindre Horizon Europe ». Entendons par là que la Suisse fera à nouveau partie “d’Horizon Europe” après, et non avant, ce « préalable » et qu’elle devra par conséquent attendre que son gouvernement signe un nouveau texte avec l’Union européenne. Comprenne qui voudra ! Le Conseil fédéral aussi ? Les paris restent ouverts !