Politique européenne

L’indécente promesse d’adhésion de l’Ukraine à l’UE

Personnage habitué aux coups bas ou de force, souvent peu respectueux de la probité politique, le feu Ministre français de l’Intérieur Charles Pasqua avait néanmoins le sens de la formule. L’une d’entre elles a fait mouche et continuera encore longtemps d’alimenter les échanges musclés ou autres controverses plus ou moins légendaires. Déclarant en 1988 que « les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent », il a touché du doigt une vérité de Lapalisse qui n’est pas prête de s’éteindre.

Dernier exemple en date, celui de l’annonce de l’adhésion rapide de l’Ukraine à l’Union européenne ; si possible d’ici 2025. Pas besoin d’être devin dans son pays pour dire qu’il ne s’agit là que d’un leurre, voire d’une escroquerie intellectuelle sans pareille. Non seulement, l’Ukraine ne remplit pas les critères pour rejoindre les vingt-sept, mais ceux-ci ne sont pas capables de l’accueillir à brève ou moyenne échéance. Quitte à jouer les rabat-joies, elle ne sera pas membre de l’UE avant les années trente de ce siècle.

À vouloir confondre vitesse et précipitation, l’Union européenne ignore à la fois les règles qu’elle a elle-même adoptées et met en jeu sa propre crédibilité. Aujourd’hui, l’Ukraine ne remplit aucun critère, dit de Copenhague, datant de 1993. Kiev n’est ni en mesure de se conformer à l’acquis communautaire, ni ne dispose d’un « marché viable et de la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’UE ». Moins encore peut-elle se prévaloir « d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ». Quant à la corruption, l’Ukraine ne la combat que depuis quelques semaines, sachant que pour y mettre fin, elle aura encore besoin de longues et nombreuses années pour y parvenir.

Ce n’est pas faire un procès à ce pays que de renvoyer son appartenance à l’espace communautaire au-delà de 2030, voire de 2035. Que la vérité ne soit pas toujours bonne à dire, ne fait certes pas plaisir à tout le monde. Mais qu’elle soit tue au nom d’une diplomatie de salon ou, pire encore, d’un mensonge savamment orchestré, relève d’une flagrante hypocrisie qui nuit en fin de compte à celles et à ceux qui s’en servent à des fins inavouables. Que l’Union européenne se garde alors de tomber dans ces combines qui tôt ou tard se retourneront inévitablement contre elle.

Sa perte sera aussi financière, car personne ne voudra payer l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. Ni les pays contributeurs, dont plusieurs se définissent d’ores et déjà comme « frugaux », ni les pays receveurs qui devront renoncer aux milliards d’euros qu’ils perçoivent chaque année de Bruxelles. C’est en leur sein que leur contradiction éclatera au grand jour. Irréductibles et bellicistes partisans de la cause ukrainienne, ils s’opposeront de toutes leurs forces à toute diminution de leur dotation européenne. Prêts à soutenir coûte que coûte Kiev, ils n’accepteront en aucun cas de financer à leurs propres dépens l’adhésion d’un pays dont ils ne cessent pourtant de défendre bec et ongles la cause. Première concernée, la Pologne mettra tout son poids dans la balance pour sauvegarder son pactole européen, tout en appelant ses partenaires à venir en aide à son voisin. Que dire alors, si Varsovie, les autres États du Groupe de Visegrád, y compris ou non la Hongrie, la Croatie et la Roumanie,  mais aussi les pays baltes étaient contraints de mettre la main à poche ? Ils ne le feront certainement pas de gaité de cœur, se drapant une nouvelle fois derrière le paravent victimaire d’éternels adversaires de la Russie.

La promesse d’adhésion de l’Ukraine à l’UE est indécente. En premier lieu, pour les Ukrainiens eux-mêmes, forcément déçus de ne pas voir se réaliser leurs vœux d’ici deux ou trois ans. Mais aussi pour l’Union européenne qui, consciente de son offre de Gascon, porte ainsi atteinte à sa réputation internationale. Ne tenant pas parole, c’est la sienne qui fera forcément l’objet de toutes les attaques. Légitimement accusée d’avoir suscité des espérances qu’elle savait pertinemment ne pas pouvoir exaucer, elle aura perdu d’un coup ce qu’elle aura cru gagner auparavant en capital sympathie. Les Ukrainiens ne lui feront plus confiance, se tourneront vers d’autres cieux, américains de préférence, et ne manqueront pas de rappeler à Bruxelles qu’ayant cru momentanément en elles, les promesses de l’UE ne les engagent plus d’aucune façon !

 

 

 

 

 

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