Politique européenne

Un nouveau sexisme politique

Ce n’est pas un scoop: le prochain Conseiller fédéral homme et socialiste sera un Romand, à la rigueur un Tessinois. Ce n’est pas un scoop: celle qui d’ici une dizaine ou une douzaine d’années succèdera à la Conseillère fédérale socialiste, élue le 7 décembre 2022, sera une Suisse-Allemande. Et ainsi de suite…! En poussant la parité à son paroxysme, le parti socialiste s’est pris à son propre jeu et, volontairement ou non, enfermé dans une logique genrée dont, tôt pu tard, il payera le prix. Au summum du ridicule, tout socialiste masculin originaire de l’Est du Röstigraben ne pourra jamais accéder à la fonction suprême à Berne, pas plus que ne pourra le faire toute socialiste issue de la Suisse latine. Gagné par un mode de répartition entre les sexes, le PS s’est tiré une balle dans le pied et s’est conformé à un schéma idéologique qui, à y regarder de plus près, s’éloigne du principe d’égalité, pourtant historiquement et philosophiquement ancré à gauche.

Quoique la formule puisse choquer, le constat est sans appel : de nos jours, compte parfois moins ce que l’on a dans la tête que ce que l’on a entre les jambes. Alors que la politique a pour vocation même d’administrer et de penser la polis, elle se conjugue de plus en plus au temps d’un ségrégationnisme qui accroît les divisions. Le choix des candidats s’opère alors en fonction de critères, où le sexe l’emporte sur tous les autres. En d’autres termes, dis-moi si tu es une femme ou un homme et je te dirai si tu as la chance d’être élu-e- ou pas!

Bastion masculin durant des siècles, la politique s’est heureusement féminisée depuis plus de quarante ans et a permis aux femmes d’y jouer un rôle de tout premier plan. Toutefois, la présence féminine ne peut pas changer, à elle seule,  les contenus et l’esprit des lois adoptées par le législateur.  Si Indira Gandhi ou Golda Meir ont favorablement marqué de leur empreinte l’histoire de l’Inde et d’Israël, l’image de la Dame de fer restera à tout jamais liée aux paroles de Renaud pour qui aucune femme sur la planète n’s’ra jamais plus con que son frère; ni plus fière ni plus malhonnête; à part peut-être, Madame Thatcher.

Certes, on ne naît pas femme, on le devient ! Mais Simone de Beauvoir n’aurait vraisemblablement jamais vénéré ou plus encore exonéré une politicienne pour la seule raison qu’elle appartient à ce qu’elle nomma elle-même le deuxième sexe. Parce qu’elles sont l’égales de leurs confères masculins, elles méritent d’êtres reconnues, soutenues, appréciées ou critiquées au même titre que le sont les hommes. Alors qu’Angela Merkel n’a pas trouvé en la personne de son successeur un chancelier digne de son niveau, qu’Elisabeth Borne fait preuve d’une réelle ténacité face aux caciques misogynes de la droite française, que l’on se garde bel et bien de préférer Marine Le Pen à Emmanuel Macron ou Giorgia Meloni à Mario Draghi! À ignorer les idéologies, notamment d’extrême droite, à se conformer au discours ambiant ou à vouloir confondre parité et pensée, le risque de se tromper d’adversaire existe bel et bien.

 

Il en est de même chez nous. Oubliée depuis lors, l’élection en 1984 de la première Conseillère fédérale de l’histoire, Elisabeth Kopp, n’a pas servi la cause des femmes. De même, le féminisme ne se résume pas au choix d’une candidate. Sa priorité demeure dans la revalorisation des droits sociaux et salariaux qui, comparés avec ceux existant au sein de l’Union européenne, sont parfois inférieurs en Suisse.   Aujourd’hui, le gouvernement de Berne est en manque d’une nouvelle Ruth Dreifuss, dont le combat héroïque pour le congé maternité s’inspira aussi des dispositions depuis longtemps en vigueur dans les pays voisins de la Confédération.

 

Le débat suscité par la stratégie du parti socialiste suisse n’est pas anodin. Il est largement influencé par une approche communautariste et s’éloigne dangereusement de l’universalisme auquel la gauche omet trop souvent de se référer. Jouant la carte du différentialisme, le PS épouse des formes de raisonnement qui contredisent la notion même de citoyenneté, à savoir celle qui s’inspire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, où toutes et tous « naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Parmi les premiers à avoir revendiqué et réalisé l’égalité des genres, les socialistes sont tombés dans le piège d’un nouveau sexisme politique, où la concurrence, voire l’affrontement entre les hommes et les femmes l’emportent sur toute autre considération. Bien que n’ayant pas toujours été exemplaires en la matière, les socialistes n’ont pas à rougir de leur action au profit des femmes. Précurseurs en la matière, ils se prévalent ici d’un bon bilan. Mais, comme arc-boutés sur leur passé, ils n’ont pas su franchir une nouvelle étape. Car, comme l’écrivait Françoise Giroud la femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. En ayant choisi un ticket exclusivement féminin pour les prochaines élections au Conseil fédéral, et nonobstant la candidate qui sera élue le 7 décembre prochain, le PS n’a pas su mesurer à sa juste valeur la pertinence philosophique de cette parole qui devrait nous donner à réfléchir, que l’on soit homme ou femme!

 

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