Politique européenne

Les serpillières politiques de l’extrême droite

Il y a plus de vingt-deux ans, un homme de droite montait au créneau. Son nom Jacques Chirac. Aujourd’hui, il n’y a presque plus de chiraquiens à droite ; que des « serpillières politiques » qui, pour arriver à leurs fins, cirent les parquets de celles et ceux que l’on n’ose même plus appeler les néo-fascistes. Entendez par-là des fascistes en complet veston-cravate ou en ensemble tailleur. Beaucoup plus malins et malicieux que leurs aînés des groupuscules ultra-violents des années septante et quatre-vingt, ils ont réussi un exploit : faire passer un passé qui naguère ne passait pas.

Hier l’Autriche, aujourd’hui la Suède et l’Italie. Et plus que jamais, la Hongrie. L’extrême droite s’est installée en Europe. Destin tragique de l’histoire, l’essence même de la construction européenne est bafouée. Bafouée non seulement par les partis nationalistes, mais aussi par des forces politiques que l’on n’ose même plus qualifier de conservatrices, de populaires, voire de libérales. En 2000, le président français avait sonné la charge contre le gouvernement de coalition qui, à Vienne, réunissait les démocrates-chrétiens de Wolfgang Schüssel et les pseudo-libéraux du FPÖ. À l’époque, ce parti était présidé par l’admirateur de la politique sociale d’Adolf Hitler, à savoir le feu, et très peu regretté, Jörg Haider.

Où sont désormais les Chirac d’antan ? On les cherche en vain. Pas à Stockholm et encore moins à Rome. Qu’ils aient pour noms Ulf Kristersson en Suède, Matteo Salvini ou celui de cet éternel vieillard qu’est Silvio Berlusconi en Italie, ils ne méritent ni respect, ni considération. Même si le premier d’entre eux demeure plus estimable que les deux autres, tous préfèrent les partis extrémismes aux formations démocratiques. Fossoyeurs volontaires ou pas de la pluralité politique européenne, ils sont la cheville ouvrière du retour de l’extrême droite aux affaires. Par conséquent, ils n’ont droit à aucune circonstance atténuante et deviennent non seulement les adversaires, mais aussi les ennemis de ce qui a fait la richesse politique de l’Europe. Car, qu’on veuille l’admettre ou non, toute alliance avec les organisations nées du fascisme n’a jamais renforcé, mais au contraire toujours affaibli la démocratie.

Tant la droite que la gauche s’en trouvent fort dépourvues et désemparées. La première est prête à vendre son âme, la seconde à perdre ses électeurs. Croyant encore que les travailleurs seront toujours à leurs côtés, les communistes et autres socialistes ont oublié que le monde a changé de base. L’internationale ne retentit plus au seul chant des forçats de la faim qui, aujourd’hui majoritairement personnifiés par l’image de millions d’immigrés venus d’ailleurs, ne peuvent pas compter sur la solidarité des ouvriers autochtones privés de toute conscience de classe. Tentés par le vote d’extrême droite, ceux-ci s’en prennent plus volontiers aux plus faibles qu’eux, versant dans un nationalisme situé aux antipodes de la pensée marxiste, selon laquelle les prolétaires de tous pays n’auraient qu’à s’unir pour aspirer ensemble au bonheur du genre humain.

Quant aux conservateurs ou libéraux, leur sort n’est guère plus enviable. Victimes de la sécularisation des sociétés modernes et de la logique implacable d’un néolibéralisme glacial et antisocial, ils ont perdu leur assise populaire qui leur a longtemps assuré une majorité électorale et silencieuse. Une partie d’entre elle, munie ou non de gilets jaunes, a rejoint les rangs de l’extrémisme néo-fascisant, persuadée que celui-ci serait dorénavant mieux à même de représenter les valeurs réactionnaires que la droite traditionnelle avait, en partie, su incarner jusqu’à la fin du 20e siècle.

Partiellement mis au placard de l’histoire, les humanistes catholiques, les chrétiens-sociaux ou les esprits éclairés du libéralisme philosophique n’ont presque plus droit au chapitre. Remplacés par des soi-disant « populistes », ils sont obligés de céder leur place à des « vrais de vrais », à des « réacs pur jus », à ceux qui n’ont pas froid aux yeux pour dénoncer, plus ou moins élégamment, une hégémonie de la racaille, toujours originaire d’autre part. À la droite de la droite, ils bénéficient de nouveaux relais médiatiques et d’une légitimité politique insoupçonnée il y a encore dix ans. Autrefois objets de moquerie, ce sont eux qui de nos jours se moquent de la démocratie apaisée qu’ils exècrent. Ils ont enterré leurs aïeux, font fi de leur héritage et ont enseveli toute forme de honte à s’allier avec la droite extrême qui les chérit tant. Hier, ce fut le cas en Autriche, puis en Hongrie, aujourd’hui en Suède et en Italie. Et demain, à qui le tour ?

 

 

 

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