Politique européenne

France: la dissolution est inévitable

Toute réaction à chaud est malvenue. Pas celle-ci. Les faits sont têtus, les chiffres aussi. Une majorité politique n’existe qu’après l’obtention de 50% des voix plus une, qu’après celle de 50% des sièges plus un. Emmanuel Macron a largement été réélu le 24 avril dernier. Il a largement été mis en minorité le 19 juin 2022. En d’autres termes, il est en mesure de présider son pays, mais pas de le gouverner.

Jacques Chirac croyait avoir fait le nécessaire en l’an 2000. Pourtant son référendum sur le quinquennat n’a pas évité le séisme du scrutin de la présidentielle du 21 avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen arriva au second tour de la présidentielle. Pendant deux décennies, la République française a vécu dans une illusion politique à laquelle tous ses partis s’étaient habitués. Elle baignait nolens volens dans le paradoxe d’un système semi-présidentiel qui vient de dévoiler une nouvelle fois ses propres faiblesses. Sous-estimant une crise constitutionnelle larvée, la France s’est contentée d’un statu quo institutionnel qui, peu ou prou, était condamné à plus ou moins brève échéance. En toute bonne foi, les élections législatives ne devaient être que pure formalité pour le président élu ou réélu. Cela a fonctionné, mais cela ne fonctionne plus. Président le mieux réélu depuis Jacques Chirac, Emmanuel Macron vient d’en faire l’amère expérience.

La date du 19 juin 2022 est d’ores et déjà historique. Elle marque la fin d’un automatisme politique et celle prévisible d’une Ve République vieillissante. La sacrosainte stabilité des institutions gaullistes se morfond dans les bas-fonds d’un système à bout de souffle ; la bipolarisation droite-gauche a changé de base et le fameux « en même temps » macroniste s’est fracassé sur les rochers du scrutin législatif. Morcelée politiquement, mais aussi idéologiquement, la France de 2022 est devenue ingouvernable. Elle ne peut pas avoir de majorité, car la très grande majorité de son électorat est plus divisée que jamais. Radical aux deux extrêmes à près de 40%, à droite à plus de 60% et privé d’une gauche de gouvernement, celui-ci est la première victime d’une perte de repères à laquelle il a néanmoins prêté son concours. Toujours rétif à l’adresse d’un système auquel il s’est de plus en plus opposé, il se retrouve aujourd’hui sans majorité crédible pour le faire sortir du marasme politique qu’il a lui-même suscité.

Signe précurseur du résultat du 19 juin 2022, les gilets jaunes ont donné lieu à des interprétations les unes plus erronées des autres. Parce que privés de toute assise idéologique, reniant toute conscience de classe, ils ont largement contribué au succès du Rassemblement national qui n’en demandait pas tant. Expression d’un ras-le-bol plus que légitime, les gilets jaunes ont installé un discours du refus et de l’obstruction qui, à travers l’histoire, a toujours fait le lit de l’extrême droite. Prise au piège et tentant de récupérer un mouvement qui lui était intellectuellement opposé, la gauche n’a pas su séparer le bon grain de l’ivraie. À l’exemple de beaucoup d’électeurs de la France Insoumise qui ont voté pour des candidats lepénistes lors du second tour des législatives, elle a versé dans un langage de la radicalité qui n’a cessé de prendre de l’ampleur. Se félicitant d’avoir, grâce à son alliance électorale, le plus grand groupe d’opposition à l’Assemblée nationale, elle se garde bien d’évoquer la médiocrité de son score. N’atteignant guère plus de 30% des voix, elle n’a pas la moindre chance de gouverner la France dans un laps de temps de cinq ou dix ans.

Alors que la NUPES a obtenu une victoire à la Pyrrhus, Emmanuel Macron a subi une lourde défaite. Il en est le premier responsable et doit en supporter toutes les conséquences. Nonobstant ses propres erreurs, il s’est installé dans un mainstream politique qui, aussi issu de l’école anglo-saxonne, ne correspond pas à la culture française ou latine. Oubliant l’importance du social et de l’attachement de ses concitoyens à la solidarité, il a mésestimé deux des trois paroles de la devise de la République, à savoir l’égalité et la fraternité. Également sanctionné pour s’être affranchi de citoyens de gauche qui lui avaient permis d’arriver au pouvoir en 2017, il se retrouve aujourd’hui fort démuni. Il est à l’image d’un roi désabusé, se délectant d’artifices et de divisions qui au final se sont retournés contre lui. Le président de la République n’a plus de majorité, car aucune majorité ne lui sait gré de continuer comme si de rien n’était. Alors que la présidentielle était toujours perçue comme l’élection phare de la Ve République, le 19 juin 2022 vient de prouver que cela n’est plus obligatoirement le cas. Emmanuel Macron essayera peut-être de constituer des majorités de circonstance. Que grand mal lui fasse, car nul ne se prêtera éternellement à ce petit jeu. Plus que jamais, la France a besoin de clarté et de clarification. Le 19 juin 2022 l’a plongée dans une nouvelle forme d’obscurantisme. Elle n’aura pas mille et une façons de s’en sortir. La seule qui vaille sera celle de la dissolution de l’Assemblée nationale, d’ici 2023 ou début 2024. Mais attention : ce n’est là qu’une arme à double tranchant ou à usage unique. Le président de la République ne devra pas se rater. Sinon, c’est la démission, voire au pire l’arrivée de Marine Le Pen à l’Élysée.

 

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