Politique européenne

L’enjeu européen des élections françaises

Pourquoi remonter à 2005 pour expliquer ce qui se passe en 2022 ? Apparemment saugrenue, cette approche n’est pourtant pas dénuée de tout fondement. Fruit d’une analyse sur le long terme, elle permet d’observer un phénomène constant que trop d’observateurs et de politistes ont négligé ces dernières années. Dans le prolongement du refus français d’accepter par référendum « le traité établissant une constitution pour l’Europe », un anti-européanisme s’est durablement installé dans le paysage politique français. Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle du 10 avril 2022, le constat est sans appel. Parmi les quatre candidats arrivés en tête, représentant ensemble environ 80% des suffrages exprimés, seul l’un d’entre eux se déclare pro-européen, à savoir Emmanuel Macron. Les trois autres, soit respectivement Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour faisaient partie des près de 55% des Français qui s’étaient opposés le 29 mai 2005 à la Constitution européenne. Dix-sept ans après, ces derniers représentent, ni plus ni moins, 52% du corps électoral français.

Pourtant, et ce n’est là pas le moindre des paradoxes, la France a depuis lors sans cesse été gouvernée par des majorités pro-européennes. Qu’ils aient pour nom, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron, tous les présidents de la République française n’ont, au-delà de leurs divergences politiques, jamais remis en cause l’appartenance et l’engagement de la France en Europe. Plus encore que ces trois prédécesseurs, l’actuel locataire de l’Élysée en a même fait l’un de ses chevaux de bataille. Réaffirmant sa foi quasi émotionnelle dans l’Union européenne, Emmanuel Macron n’a jamais cédé sur ce point et ne s’est jamais aventuré ici dans un quelconque « en même temps » qui aurait nui tant à ses propres desseins qu’à ceux de son pays. Face aux dangers qui s’amoncellent dans le ciel européen, fort de son expérience et de sa prestance au sein du Conseil des Ministres de l’UE, plus habitué à la chose européenne que ne l’est par exemple son homologue allemand Olaf Scholz, il a toutes les cartes en main pour devenir ce qu’il a peut-être toujours rêvé d’être, à savoir l’homme fort de l’Europe. À la condition sine qua non qu’il soit réélu le 24 avril prochain.

Présenté souvent et pas sans tort comme « le président des riches », l’actuel Chef de l’État n’a toutefois pas su résoudre les nombreuses inégalités sociales qui avaient favorisé la victoire du « non » lors du dernier référendum de la Ve République. Connaissant les dangers de tels scrutins, aucun successeur de Jacques Chirac ne s’est frotté depuis lors à cet exercice toujours fort périlleux pour le pouvoir en place. Consciente de cette faille politique qui lui est désormais offerte, Marine Le Pen compte profiter d’une hostilité diffuse des Français à l’encontre de l’intégration européenne. Plus aguerrie qu’en 2017, elle a rangé l’abandon de l’euro au placard, sans néanmoins dépoussiérer son anti-européanisme viscéral. Plus habile qu’elle ne le fut il y a cinq ans, elle plaide pour un projet plus sibyllin et surtout beaucoup plus cynique qui reviendrait à former une coalition illibérale au sein d’une Union minée de l’intérieur par ses membres les plus autoritaires et les plus proches de l’extrême droite. Alliée à une Hongrie souvent au service de Vladimir Poutine, et à une Pologne aux accents ultraconservateurs, la France perdrait, en l’espace de quelques semaines, la confiance de ses principaux partenaires et ne figurerait même plus au même rang que les cinq autres États fondateurs de la construction européenne.

Cet appauvrissement international de la France ne servirait ni les intérêts du pays, ni ceux de l’Union européenne. Néanmoins, au diapason de la fracture intellectuelle qui s’est dessinée en France depuis 2005, il révèlerait l’un des maux les plus graves que l’Hexagone n’a pas su colmater depuis le début du 21e siècle. Perçue comme un projet gagnant au seul service des gagnants, l’Europe ne fait plus rêver. Notamment celles et ceux qui n’ont plus le moyen de rêver. Si Marine le Pen devait arriver à l’Élysée, l’aventure européenne tournerait au cauchemar. Si Emmanuel Macron devait y rester, il devra sonner l’heure du réveil social européen, avant qu’il ne soit trop tard.

 

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