Politique européenne

Sur les traces du mauvais bilan d’Angela Merkel

Encensée de toutes parts, Angela Merkel a fait de l’Allemagne la première puissance européenne. Se reposant sur la couronne de lauriers qui lui fut tressée après son départ de la chancellerie en décembre dernier, elle doit sa renommée à l’excellence de ses résultats économiques et commerciaux. En Europe, mais aussi à travers le monde, la République fédérale donnait le ‘la’ et battait la mesure de l’UE. En harmonie parfaite avec la qualité du made in Germany, la politique de l’ancienne chancelière était respectée, choyée, voire jalousée. Dejà figure historique avant le terme même de son mandat, elle a servi de référence à maints dirigeants qui n’ont jamais réussi à atteindre ni son obédience, ni sa prestance.

Mais, trêve de compliments. Le bilan d’Angela Merkel n’est pas médiocre, il est mauvais. Ni sur le plan économique, ni sur le plan financier. Mais sur les plans stratégique et énergétique. À l’aune de la guerre en Ukraine et de l’agression russe, l’Allemagne est rattrapée par ses déficits qu’elle n’a volontairement jamais voulu combattre et reconnaître. Refusant avec son ancienne Ministre de la Défense l’idée d’une armée européenne digne de ce nom et s’approvisionnant, plus qu’il n’en faut, en gaz russe, la RFA s’est trompée sur toute la ligne. Maillot jaune des émissions de CO2 en Europe et partenaire commerciale européenne privilégiée de la Russie de Poutine, elle porte en elle une terrible responsabilité que son nouveau gouvernement a commencé à assumer.

En relevant le budget de la défense à hauteur de 2% du BIP allemand, le chancelier Olaf Scholz n’a eu d’autre choix que d’agir dans l’urgence. Bien que tardif, ce changement de paradigme militaire était plus que nécessaire. Interprété comme l’amorce d’un changement de doctrine, il se heurtera néanmoins, et selon toute vraisemblance, à l’hostilité d’un mouvement pacifiste.  En ce début de 2022, ce dernier vient d’ailleurs de subir son plus grand échec enregistré depuis l’acceptation, en 1983, de l’installation des fusées de moyenne portée Pershing II sur le sol de la RFA. Bis repetita, ou pas, les événements actuels font écho à ce que François Mitterrand avait si bien su résumer en son temps, avec sa phrase célèbre, selon laquelle « les pacifistes sont à l’Ouest, et les missiles sont à l’Est ».               

Quelle que soit son issue, la Guerre en Ukraine vient de sonner le glas du pacifisme européen. Aujourd’hui, le tocsin retentit de Kiev à Berlin, d’Odessa à Paris. L’idée du Frieden schaffen ohne Waffen (de faire la paix sans armes) a définitivement échoué, car nul n’arrête les dictateurs avec de belles paroles. Ce ne fut malheureusement pas le cas en 1936, lorsque Léon Blum décréta la politique de non-intervention en Espagne. Cela ne sera pas le cas aujourd’hui, si la mollesse européenne doit prévaloir face à l’agression fasciste de Poutine. Depuis lors, les Français et autres l’ont compris. Il est temps que les Allemands (et d’autres pays) en fassent de même.

Plus que jamais, l’Europe a besoin d’une politique de défense forte, richement pourvue et dotée de l’arme nucléaire pour assurer sa dissuasion. Ainsi, la force de frappe atomique ne doit plus être un tabou ni pour les Européens, ni pour l’Union européenne. Toutefois, l’heure n’est guère à l’optimisme. Malgré quelques lueurs d’espoir, la déclaration solennelle du « sommet de Versailles » des 10 et 11 mars derniers demeure en-deçà des espérances que l’on aurait pu fonder en elle. Cela est vrai pour son volet militaire, mais aussi pour les politiques environnementales et budgétaires.

Freinée dans ses ardeurs pour préserver ses intérêts nationaux, la République fédérale d’Allemagne s’est rangée dans le camp des États qualifiés de « frugaux ». L’idée de mutualiser les efforts financiers, énergétiques et militaires s’est heurtée à une fin de non-recevoir à laquelle Berlin semble s’être associé. La proposition de ne renoncer que très tardivement au gaz russe, soit seulement en 2027, ressemble, à s’y méprendre, à un abandon en rase campagne ; notamment pour un gouvernement qui fait de la préservation de l’environnement l’une de ses principales priorités. Plaidant en cas de pénurie pour le recours au très polluant lignite, le vert Robert Habeck, vice-chancelier et Ministre fédéral de l’Économie et de la Protection du Climat, pourrait alors entrer dans l’histoire comme le « Ministre du réchauffement climatique ». Quant au choix d’acheter des F 35, soit des avions de chasse américains, il discrédite encore plus l’engagement européen des Allemands.

La RFA n’est pas le seul pays de l’UE à être placé devant ses propres contradictions. Cela concerne aussi les autres 26 membres de l’Union européenne. Néanmoins, l’Allemagne est désormais obligée, plus que tout autre, de rompre avec un passé et un bilan qui, il y a encore peu de temps, faisaient sa gloire et sa fierté. Outre Gerhard Schröder qui s’est déconsidéré à tout jamais, Angela Merkel n’a pas été une grande chancelière pour l’avenir écologique et militaire de la République fédérale et de l’Europe. Les Allemands ne sont malheureusement pas prêts à l’admettre, encore moins à l’avouer publiquement. Un peu plus d’humilité leur ferait pourtant le plus grand bien, et pas seulement à eux-mêmes !

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