Politique européenne

Les relations franco-allemandes en points de suspension

Angela Merkel ne restera pas en mémoire comme une égérie de la relation franco-allemande. Au-delà de toutes les louanges qui lui sont d’ores et déjà adressées, elle n’a jamais fait du partenariat entre la France et l’Allemagne une raison d’être. Ayant respectivement connu de Jacques Chirac à Emmanuel Macron quatre présidents de la République, elle n’a noué aucun lien d’amitié avec l’un d’entre eux. À l’exception de la « Merkozy », qui l’avait temporairement liée à Nicolas Sarkozy, elle a toujours gardé une certaine distance envers ses homologues français. Contrairement aux chanceliers Adenauer, Schmidt et Kohl, elle n’est pas associée à ces “couples binationaux” qui, avec Charles de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterrand, ont fait de la construction européenne ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Femme du 21e siècle, la chancelière incarne cette nouvelle Allemagne qui, bien que l’exerçant pleinement et en toute connaissance de cause, refuse d’assumer publiquement sa puissance.

Lors de sa réélection en 2017, précédée quelques mois auparavant par la victoire de Macron, tous les voyants étaient au vert. Pourtant les espoirs furent vite déçus. Il fallut rapidement se rendre à l’évidence. Les propositions de réforme européenne esquissées par le nouveau président français lors de son discours du 26 septembre 2017 à la Sorbonne ne reçurent jamais la moindre réponse de Berlin. Elles n’avaient pas trouvé grâce aux yeux d’une chancelière qui a sans cesse mis son véto à tout approfondissement politique de l’Union européenne. En toute logique, elle a toujours privilégié les initiatives conjoncturelles aux projets structurels.

Même si le constat paraît amer, l’heure est à la déception. À l’exception, certes notoire, du programme de relance de l’UE de 750 milliards d’euros et de quelques initiatives binationales en politique étrangère, le bilan de la coopération franco-allemande sous Macron et Merkel est décevant. Il l’est d’autant plus que Paris n’a jamais pardonné le plaidoyer antifrançais qu’Annegret Kramp-Karrenbauer avait tenu, en sa qualité de présidente éphémère de la CDU, six semaines à peine après la signature du traité d’Aix-la-Chapelle. Restant gravé dans les mémoires des Français, cet interview, accordé au journal conservateur « Welt am Sonntag » le 10 mars 2019, avait rayé d’un trait de plume l’esprit de relance dont le franco-allemand avait impérativement besoin. Ainsi, et au-delà du protocole qui accompagna son adoption le 22 janvier 2019, ce traité s’est borné à plusieurs déclarations de principe qui, rédigées sans le moindre enthousiasme, sont au diapason d’une relation en manque d’ambition.

Apôtres peut-être de ce que les Anglo-Saxons appellent le « wishful thinking » et les Allemands le « Wunschdenken », quelques observateurs nourrissent certains espoirs avec l’arrivée plausible d’Armin Laschet au pouvoir en RFA. Nouveau symbole de cette Allemagne rhénane que les Français ont tant choyée, proeuropéen dans l’âme et francophile à ses heures, il se ferait l’avocat du partenariat franco-allemand et serait par conséquent le successeur idéal d’Angela Merkel. Mais comme le fait remarquer à juste raison Sylvie Lemasson, Maître de Conférences en relations internationales auprès de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble, le programme électoral de la CDU/CSU est « en contradiction parfaite avec les deux piliers européens du président Macron, à savoir le pilier budgétaire et le pilier de la politique de défense ».  Que ce soit pour le retour prôné par les conservateurs allemands à l’orthodoxie financière et au respect de ladite « règle d’or » ou pour les réticences allemandes de construire un avion de combat franco-allemand à l’horizon de l’année 2040, les sujets de discorde ne disparaîtront pas d’un coup de baguette magique entre les deux gouvernements.

Confrontées à des issues électorales encore indécises, la France et l’Allemagne n’envisageront la relance de leur partenariat qu’après les présidentielles d’avril 2022. Alors qu’une victoire éventuelle, mais (heureusement) nullement acquise, de Marine Le Pen entraînerait immédiatement un arrêt de la coopération franco-allemande, celle plus vraisemblable d’Armin Laschet en septembre prochain ne résoudrait pas pour autant les différends qui subsistent entre Paris et Berlin. Une reconduction éventuelle de la politique militaire conduite sous la direction d’Annegret Kramp-Karrenbauer serait vue d’un très mauvais œil par l’Élysée. Il en serait de même, voire pire, pour une nouvelle politique d’austérité financière prônée par les Allemands. Une telle mesure aurait pour conséquence majeure de creuser encore plus le fossé entre les pays du Nord et du Sud au sein de l’UE. Elle renouerait aussi avec le plus critique des héritages qu’Angela Merkel a laissés en Europe. Conformément au traité d’Aix-la-Chapelle, l’Allemagne et la France n’auraient alors que pour seul terrain d’entente la coopération transfrontalière. Mais, à l’image du regain de xénophobie des Sarrois à l’encontre des Lorrains, perçu des deux côtés de la frontière lors de la crise du COVID, ce chemin demeure également semé d’embuches.

 

 

 

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