Politique européenne

La burqa: un scrutin qui en dit long!

Pour se féliciter ou non du résultat, aucun commentaire n’a manqué pour tirer les leçons du vote sur l’interdiction de la burqa en Suisse. Nulle envie donc de rejouer la partie, le match ayant pris fin dans l’après-midi du 7 mars 2021. Pourtant, ce scrutin en dit long. Long non seulement sur son score étriqué, mais aussi sur l’état du débat politique. Beaucoup plus en peine que ne le croient les aficionados de la démocratie directe, il est en proie à des fissures que la bienséance helvétique prend bien soin de dissimuler.

Ce n’est pas la première fois. Mais, c’est une fois de trop. Alors que l’institut GFS avait prédit à deux ou trois pourcents près un « oui » à l’issue du vote, Tamedia et 20 Minutes publiaient le même jour, soit le 24 février, leur enquête selon laquelle cette initiative recueillerait 59% des suffrages. Précisant que « les 18 et 19 février, 13 924 personnes de toute la Suisse ont participé à ce sondage en ligne dont la marge d’erreur se situe à 1,3 point de pourcentage », les journaux incriminés se sont couverts de ridicule. Responsables pour avoir publié de mauvais chiffres, ils le sont moins que ceux qui les avaient calculés. Regroupés autour d’une poignée de jeunes politistes suisses-allemands aux dents longues, les auteurs du sondage doivent désormais se mordre les doigts. Mais l’heure n’est ni aux excuses, ni à la compassion. N’ayant pas cessé de vanter les qualités de leur travail, ils sont les premières victimes d’une méthode pseudoscientifique qu’ils avaient utilisée avec des fortunes diverses depuis trois ou quatre ans. Aujourd’hui, le couperet est tombé et le constat est accablant !

Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, les électeurs auront appris 48 heures plus tard que l’initiative sur l’interdiction de se dissimuler le visage dans les lieux publics doit être mise en œuvre par les cantons et non par la Confédération. Ainsi, l’Office fédéral de la justice fut appelé à la rescousse pour mettre fin à la confusion qui régnait dans les alcôves des chambres parlementaires. Balafre acérée au bon fonctionnement du fédéralisme, cette décision aurait dû être prise avant et non après le vote du 7 mars dernier. Incapable de statuer par elle-même, la politique s’en est remis aux juges, ce qui constitue toujours une preuve d’impuissance et d’échec.

Passé tout près de la correctionnelle, le Conseil fédéral n’a pas été à la hauteur de l’événement. Il a plaidé pour le pour et le contre, sans convaincre et sans véritablement comprendre les enjeux des votations. Son indécision était au diapason de celle du peuple. Placé au milieu du gué d’arguments plus ou moins valables, celui-ci a navigué dans les eaux troubles de la politique et fut poussé par des vents idéologiques contraires. Une fois n’est pas coutume, ce sont les cantons romands qui ont tiré leur épingle du jeu. Malheur à celui qui croirait que leur opposition à la burqa serait synonyme de soumission à l’UDC. Ils n’ont pas fait allégeance aux Blocheriens, mais exprimé leur sympathie à l’idée de laïcité qui, au grand dam de quelques PS ou Verts, demeure un principe de gauche.

Parce que largement incomprise en Suisse allemande, mais aussi auprès de jeunes générations influencées par les thèses américaines du communautarisme, la séparation de l’Église et de l’État a toujours veillé à libérer le ou la citoyen/ne de toute oppression religieuse. Ce fut là l’enjeu majeur du vote contre la burqa. En toute logique, il a alors obtenu le soutien de femmes (et hommes), romandes ou autres, dont le parcours politique et l’engagement féministe ne laissent en rien soupçonner la moindre connivence avec la droite xénophobe. Toutefois, la campagne en Suisse prit une tout autre tournure. La femme dissimulée sous sa couverture de tissu fut portée aux nues et saluée comme une personne libérée des camps néo- ou postcoloniaux. C’est là faire preuve d’une cruelle et parfaite ignorance historique, sachant qu’en août 1956 Habib Bourguiba enlevait, en parlant du voile, ce « misérable chiffon » de la tête des femmes tunisiennes. Mais qui, près de soixante-cinq après, se souvient encore du « combattant suprême », surtout en Suisse allemande ?

En revanche, la presse helvétique se donna à cœur joie pour inonder ses colonnes avec les travaux d’Agnès de Féo, une sociologue française à la renommée limitée. Presque aussi méconnue en France que ne le fut naguère dans l’hexagone l’acteur français préféré des Allemandes, Pierre Brice, – admiratrices de Winnetou obligent -, celle-ci a démontré, chiffres à l’appui, que le nombre des porteuses de la burqa avait augmenté depuis la promulgation de la loi qui l’avait interdite en France. Si ses conclusions quantitatives sont exactes, elles sont erronées sur le plan politique. Derrière ces données, se cache ni plus ni moins une réalité beaucoup moins réjouissante. En effet, opinion d’ailleurs largement confortée par les acteurs et les élus de terrain français, la burqa est devenue, portée volontairement ou non, un uniforme de ralliement aux thèses de l’islamisme radical.

La campagne de ces dernières semaines laissera des traces. Elle aura irrémédiablement confirmé l’influence exercée, notamment en Suisse alémanique, par une approche germanique et anglo-saxonne de l’islam auprès de certains milieux académiques, quelques groupes de jeunes et organisations politiques et féministes. Animée parfois de bons sentiments, mais aussi guidée par une dangereuse naïveté, cette école arrive très vite à ses propres limites. Se voilant la face – et sans mauvais jeu de mots –, elle pense favoriser l’insertion des femmes musulmanes grâce à des groupes de parole. Mais pas plus que les « Alcooliques Anonymes » n’ont réussi à endiguer l’alcoolisme, ces expériences allemandes et autrichiennes ne règleront en rien le radicalisme et le terrorisme islamistes. Par conséquent, et peut-être plus qu’elle ne le croit elle-même, et notamment grâce à la Romandie, l’issue du vote du 7 mars 2021 est une bonne nouvelle pour la politique suisse.

 

 

 

 

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