Politique européenne

Laschet ou Söder: la République de Berlin tourne ses regards vers l’Ouest

Avec l’élection d’Armin Laschet à la tête de la CDU, Angela Merkel a inscrit un nouveau succès à son palmarès politique. Plus aisément que prévu, son candidat a réuni sous son nom près de 53% des suffrages, infligeant au favori des sondages, Friedrich Merz, une nouvelle et cinglante défaite. Mauvais perdant, celui-ci a revendiqué pour lui le poste de ministre fédéral de l’Économie, se heurtant immédiatement à une fin de non-recevoir de la chancelière. Pourtant, cela n’est qu’une broutille de fin de congrès, car les véritables enjeux sont ailleurs.

La CDU de Laschet rappelle celle de Kohl, voire celle d’Adenauer. Elle évoque celle de la République fédérale d’avant 1989, à savoir celle du modèle ordolibéral qui a fait de l’Allemagne de l’Ouest le principal moteur économique de la Communauté européenne. Né dans un quartier d’Aix-la-Chapelle, d’origine modeste, le nouveau numéro un de la CDU a grandi dans l’une des villes les plus occidentales de la RFA. À la tête du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie depuis 2017, il incarne une tradition catholique, conservatrice, européenne et sociale de la démocratie chrétienne allemande. En ce sens, il renoue avec les racines du plus grand parti allemand qui a gouverné le pays depuis près de cinquante-deux ans.

Toutefois, l’heure ne saurait être à la nostalgie. En contradiction parfaite avec quelques commentaires hâtifs qui feraient d’Armin Laschet le digne successeur de ses prestigieux prédécesseurs, la prudence est de mise. D’une part, il n’est pas assuré de devenir le futur chancelier, d’autre part l’Allemagne d’aujourd’hui n’est ni celle d’Helmut Kohl, a fortiori ni celle de Konrad Adenauer. Élu à la présidence de la CDU par des délégués très majoritairement implantés à l’Ouest, Armin Laschet ne bénéficie que peu de crédit auprès des militants chrétiens-démocrates de l’Est. Minoritaires au sein du parti, ceux-ci se sont prononcés pour Friedrich Merz.

Pourtant, ils ne sont pas en mesure de barrer la route de la chancellerie à Armin Laschet. Un obstacle d’une tout autre envergure se dresse dorénavant devant lui. Alors que la Bavière n’avait jamais réussi à placer l’un des siens à la tête du pays, ni le légendaire Franz-Josef-Strauβ en 1980, ni Edmund Stoiber en 2002, elle pourrait se féliciter de l’arrivée de son Ministre-Président au pouvoir à Berlin. Chef de la CSU, aux manettes du gouvernement régional à Munich, Markus Söder a toutes les chances de coiffer sur le fil le nouveau président de la CDU pour arracher la tête de liste des chrétiens-démocrates et sociaux lors des élections au Bundestag, prévues le 26 septembre prochain. Non seulement favori des sondages, ce protestant de Nuremberg paraît plus apte à endosser le costume de l’homme d’État que ne pourrait le faire son concurrent rhénan.

C’est bel et bien en ces termes que se pose aujourd’hui l’avenir politique de l’Allemagne. Après avoir été dirigée pendant seize ans par une chancelière de l’Est, certes née à Hambourg – ses parents ayant rejoint la RDA par sympathie pour le régime communiste -, la République fédérale semble à nouveau déplacer son centre de gravité vers l’Ouest. Pour autant, elle n’est pas prête à renouer avec le modèle rhénan qui sous sa forme originelle n’existe plus. Plus de trente ans après son unité, le pays a entre autres fait le deuil d’un l’affrontement entre les chrétiens- et sociaux-démocrates, arbitré selon les époques par des libéraux du FDP plus ou moins proches de la CDU/CSU ou du SPD.

Aujourd’hui, le paysage politique allemand est beaucoup plus complexe qu’il ne l’était avant l’arrivée d’Helmut Kohl au pouvoir en octobre 1982. À cette date, seuls trois groupes parlementaires étaient représentés au Bundestag. Aujourd’hui, ils sont au nombre de six, ce qui ne facilite pas la composition des coalitions gouvernementales. Alors que le SPD refusera probablement à rejouer les faire-valoir de la CDU/CSU, que la Linke demeurera sur les bancs de l’opposition, de même que l’AFD, tous les regards se tourneront vers les Verts qui, avides de pouvoir, sont prêts à payer le prix qu’il faudra pour réoccuper après 2005 des strapontins ministériels. Que ce soit avec Armin Laschet ou plus encore avec Markus Söder, ils veulent former, coûte que coûte, le premier cabinet « écolo-chrétien-démocrate » en Allemagne.

Impensable à Bonn, l’alliance entre la CDU/CSU avec les Verts n’effraie plus personne en RFA. Regroupant deux formations peu ou prou centristes, elle s’éloigne des schémas d’antan. Elle ne puise ni ses sources dans le « capitalisme rhénan » d’autrefois, ni dans un pacifisme intransigeant auxquels les Verts ont renoncé depuis belle lurette. Elle n’est que l’expression de la « République de Berlin ». Consciente et satisfaite d’elle-même, celle-ci se sent à l’aise pour mener sa politique comme elle l’entend. D’abord sur le plan intérieur, mais aussi au niveau des affaires étrangères et de l’Europe, où son ambition est à des années-lumière de ce qu’elle fut du temps où la RFA n’était qu’un « nain politique ». Pas sûr néanmoins que tous ses partenaires, notamment au sein de l’UE, l’aient compris, même si Armin Laschet devait nonobstant être le prochain chancelier !

 

 

 

 

 

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