Politique européenne

Le fédéralisme sur la sellette

Dès le printemps 2020, plusieurs députés de l’UE se sont prononcés pour la création d’un « consortium de recherche européen sur le vaccin, assorti de financements adéquats, [ayant pour objet] d’encourager les laboratoires pharmaceutiques et les centres de recherche européens à travailler ensemble ». Réalistes et visionnaires à la fois, leur demande répondait au besoin d’élever la santé au rang de compétence européenne. Si tel n’est pas encore le cas, rien ne s’oppose à ce qu’il en soit ainsi. La leçon de la crise sanitaire est en effet sans appel : le traitement purement local de la Covid a rapidement atteint ses limites. Bien que les interventions sur place demeurent prioritaires pour endiguer ses conséquences à court terme, elles sont largement insuffisantes pour empêcher une propagation de plus grande ampleur. Désavoués par la dimension géographique de la pandémie, les partisans de la proximité en sont pour leurs frais. N’ayant pas admis que le virus ne connaît pas de frontières, leur pensée se heurte désormais à la dure réalité des faits.

La Covid aura eu pour mérite de situer le débat sur le fédéralisme dans une optique moins idéologique. Alors qu’à l’époque de la première vague, l’Allemagne et la Suisse se félicitaient de l’excellence de leur système pour avoir mieux su circonscrire que d’autres le nombre de leurs victimes, ces deux pays ont dû revoir leur copie à la fin de l’année 2020. Angela Merkel fut obligée de batailler ferme contre les Länder, tandis que le Conseil fédéral ne savait plus où donner de la tête face aux cantons. Source de dysfonctionnements et de manque de résolution auxquels les Suisses n’étaient guère habitués, le Kantönligeist a contribué à un imbroglio politique et épidémiologique que nul citoyen n’aurait pu s’imaginer il y a encore quelques mois.

Pas plus que ne l’est le centralisme, le fédéralisme n’est pas la panacée universelle pour résoudre une crise. En mesure de trouver des solutions à certains conflits, il peut aussi les aggraver. De même souvent jugé moins bureaucratique, il n’est pas dénué de lourdeurs administratives qui paralysent certaines prises de décision. Alors que le virus n’attend pas la moindre consultation pour se propager sur l’ensemble du territoire national, les autorités politiques se chamaillent pour défendre leur pré carré. Satisfaits d’agir au sein de leur propre espace, ils oublient que la Covid ne suit pas la même logique et que ses victimes se répartissent indépendamment de leur appartenance communale ou cantonale.

Dans ce « monde d’après », dont faute de vision on ne cesse de nous rabâcher les oreilles, le temps est venu de dépasser l’opposition entre le centralisme et le fédéralisme. Alors que le premier pèche par une opacité autoritaire, le second se réfugie dans une défense excessive du particularisme. Plus que jamais, un nouvel équilibre doit naître entre d’une part un respect égal des droits et des devoirs pour tous et une prise en compte des disparités locales, régionales, voire nationales de l’autre. Cette approche se retrouve aussi dans l’idée même de « fédération des États-nations » que l’ancien président de la commission européenne Jacques Delors avait utilisée en son temps. Oxymore politique par excellence, cette formule n’a pas encore été traduite dans les faits et demeure par conséquent plus théorique que pratique.

Le virus ne changera certainement pas le cours de l’histoire. Pas plus qu’il ne mettra en cause les traditions souvent ancestrales des systèmes politiques européens ou autres. Peut-être aura-t-il pour mérite de poser les jalons d’une nouvelle approche pour surmonter une dialectique trop prisonnière de ses œillères idéologiques. Aux enfants d’un nationalisme centralisateur, il apprendra que l’État et la nation ne garantissent pas toujours cette égalité à laquelle ils aspirent ; aux disciples du localisme fédéraliste, il enseignera que la diversité n’est que trop souvent synonyme de disparités économiques, sociales ou culturelles. Alors que le public vient ces derniers mois de porter secours au privé, l’heure d’une certaine humilité a sonné. Dorénavant, chacun sait qu’il ne peut pas uniquement compter sur soi-même, qu’il a besoin des autres et que la responsabilité individuelle ne se suffit plus à elle seule pour se prémunir de tous les maux.

Pilule dure à avaler pour certains, le fédéralisme a du plomb dans l’aile. Toutefois, parce que plus transparent et à certains égards plus démocratique que d’autres systèmes, il peut se sauver par lui-même. Par exemple, en acceptant le partage, sinon l’abandon de certaines de ses compétences, où expérience faite ces derniers mois, il a failli. Comme préconisée par les députés européens dès le premier trimestre de 2020, une politique européenne et coordonnée de la santé aurait pu ainsi éviter nombre de déboires et de drames humains qui n’ont cessé d’alimenter une actualité dont tout le monde se serait volontiers passé !

 

Quitter la version mobile