Politique européenne

Ouf de soulagement ou prudence de mise ?

À l’annonce de la victoire de Joe Biden, non seulement une majorité d’Américains mais plus encore d’Européens a poussé un grand ouf de soulagement. Après quatre années de trumpisme, les États-Unis auraient tourné la page d’un isolationnisme, d’une arrogance et d’un autoritarisme sans précédent. À l’exception de quelques gouvernants illibéraux des PECO, dont le président slovène qui s’empressa au lendemain du vote du 3 novembre 2020 de féliciter le locataire de la Maison Blanche pour sa réélection, la plupart des dirigeants européens n’ont pas caché leur joie de ne plus avoir affaire à Donald Trump.

Sans nul doute, les plus démunis, les personnes privées d’assurance maladie, les Américains ouverts sur le monde, les militants écologiques et autres milieux culturels et universitaires sont les grands vainqueurs de ce scrutin. Le retour promis des USA à l’accord de Paris sur le climat ou une approche beaucoup plus humaine pour enrayer l’épidémie de COVID constituent plusieurs avancées qui méritent d’être saluées à leur juste valeur. Indéniablement, la victoire de Joe Biden est une excellente nouvelle pour des dizaines de millions d’Américains, mais aussi pour un monde attaché à l’État de droit, à la démocratie et au respect des autres.

Mais, pour s’en référer à Molière, il ne faudrait pas « que nos sentiments ne se masquent jamais, sous de vains compliments ». Espoir comblé à court et à moyen terme, le succès de Joe Biden ne constitue pas cette bonne nouvelle dont se gargarisent un trop grand nombre d’Européens. Elle pourrait aussi se traduire par un retour à des schémas de pensée traditionnels qui ne feraient que ralentir le processus de l’intégration européenne. Pas plus que ne l’ont été ses prédécesseurs, le futur président des États-Unis d’Amérique n’est pas un fervent partisan d’une Europe qui aurait décidé de voler de ses propres ailes.

Fidèle au modèle que l’ancien Secrétaire d’État de George Bush, Donald Rumsfeld, avait résumé, le jour de la célébration du 40e anniversaire du traité franco-allemand de l’Élysée, par sa célèbre formule de la « new Europe » opposée à la « old Europe », Joe Biden ne favorisera pas l’unité du vieux continent. Pas plus que ne l’avait fait Barak Obama, lorsqu’en septembre 2013 celui-ci avait laissé en rade le président François Hollande pour intervenir en Syrie, il ne s’engagera pas pour défendre les intérêts européens. En revanche, il maintiendra son soutien aux pays du Golfe qui, par ailleurs, comme le fait l’Arabie saoudite, entretiennent des relations pour le moins ambiguës avec le terrorisme islamiste.

Dans la plus pure tradition démocrate de la politique étrangère américaine, la prudence, sinon le repli sur soi, resteront de mise. Président âgé de près de 78 ans, élu pour quatre ans, Joe Biden ne présente pas les garanties nécessaires pour asseoir une relation d’égal à égal entre les USA et l’Union européenne. La faute en incombe aussi à l’UE, car trop nombreux sont encore ses dirigeants, qui enfermés dans leur légendaire naïveté du parapluie américain, croient toujours à la fable de l’excellence du partenariat USA/Europe ou à celle de la protection du modèle transatlantique. Alors que la réélection de Donald Trump aurait permis d’aborder sans ambages la question du maintien de l’OTAN, la victoire à l’arrachée de Joe Biden risque de la mettre sous le boisseau.

Pourtant, ces mêmes Européens auraient bien tort de se voiler la face. Qu’ils l’espèrent ou le craignent, la question d’une alternative au Pacte de l’Atlantique Nord ne peut pas attendre quatre années de plus. Sans contre-projet crédible, l’Union européenne se trouverait fort démunie et risquerait de payer au prix fort son manque de prévoyance politique et stratégique. Confrontée à des États-Unis profondément divisés et dont personne ne connaît au juste le choix que ses électeurs feront d’ici quatre ans, en opposition à un modèle trumpiste qui n’a peut-être pas dit son dernier mot et en décalage avec une gauche made in USA qui, au lieu de verser et de s’enfoncer encore un peu plus dans le communautarisme serait beaucoup plus inspirée de se référer à ses classiques, l’Europe n’a pas le droit à l’erreur. Son avenir ne se conjuguera pas au mode d’un multilatéralisme, aux contours plus flous que jamais, mais sera le fruit d’une volonté d’indépendance politique, d’une plus grande souveraineté militaire et d’une véritable politique extérieure dont, pourtant, pour reprendre la formule d’un ancien ministre français des Affaires étrangères, elle n’a tracé à l’heure actuelle, que « l’esquisse de l’esquisse ».

 

 

 

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