Adopté dans son principe dès 2007, rédigé en grande partie en 2008 et entré en vigueur en 2009, le traité de Lisbonne n’a jamais été à la hauteur d’une Europe ambitieuse. Pis-aller, trouvé en toute urgence, pour pallier la crise institutionnelle née de l’échec du projet de constitution européenne, il demeure ce qu’il a toujours été : un texte médiocre !
Compromis boiteux d’une Europe clopin-clopant, son avenir aurait dû être scellé dans une poubelle fermée à double tour, amenée illico presto à la déchetterie la plus proche. Mais faute de mieux, et surtout faute de vouloir faire mieux, il s’est incrusté dans un paysage politique sans reflet d’une Union européenne, toujours rétive à reprendre son débat institutionnel. Apeurée à l’idée de rouvrir la boîte de Pandore, elle a refermé la voie à toute réforme. Désormais prise à son propre piège, victime d’un texte de pâle figure, elle ressent les effets négatifs d’un traité qu’elle aurait dû modifier depuis belle lurette.
Prévoyant dans son article 50 « un mécanisme de retrait volontaire et unilatéral » de chaque pays désirant quitter l’UE, celui-ci ne comporte, en revanche, aucune disposition contraignante pour exclure l’un des États membres. Selon le libellé de son article 7, seuls ceux qui violeraient gravement les « valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités », encourent quelques sanctions. Par conséquent, le traité de Lisbonne permet certes la démission d’un État, mais n’envisage aucun moyen légal pour évincer l’un d’entre eux. Ainsi, l’UE s’est retrouvée, par sa propre faute, dans une situation à laquelle elle n’aurait jamais dû être confrontée. D’une part, elle doit faire face au Brexit, de l’autre composer avec des pays qui, comme la Hongrie, la Pologne ou la République tchèque, bafouent à la fois la solidarité et la démocratie en Europe.
L’Union européenne peut néanmoins recourir à quelques dispositions juridiques qui, dans le même article 7 du traité de Lisbonne, peuvent conduire à la suspension de « certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil ». Mais ces procédures sont longues et fastidieuses. Conscients des marges de manœuvre dont ils disposent, les mauvais élèves de l’UE s’en donnent alors à cœur joie pour spolier les principes de base de tout État de droit et plus encore la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne qui, dans son article premier, stipule que « la dignité humaine est inviolable et [qu’elle] doit être respectée et protégée ».
Privée de tout texte en vigueur pour intervenir rapidement contre ces fossoyeurs de l’esprit européen, la présidente de la Commission européenne s’en remet alors à la jurisprudence et à la Cour européenne de justice. Celle-ci vient d’ailleurs de condamner la Hongrie, la Pologne et la République tchèque pour avoir « manqué à leurs obligations de relocalisation de demandeurs de protection internationale », lors de la crise des réfugiés en 2015. Déclarant que « ce jugement est important », Ursula von der Leyen exprime en même temps toute son impuissance, considérant à juste titre, mais à ses dépens, que cet arrêt « …se réfère au passé, [mais] nous donnera des lignes directrices pour le futur ».
Sauf que les cas hongrois, polonais et tchèques ne se déclinent ni au passé, ni au futur, mais bel et bien au présent. La résignation d’Ursula von der Leyen ne traduit que le désarroi de l’UE pour faire face à ses ennemis intérieurs. Elle n’est que l’aveu d’une faiblesse politique de l’Union européenne qui capitule en rase campagne devant les pires de ses dirigeants. Pour retrouver sa dignité, elle doit entendre la voix des Européens de cœur, à l’exemple de l’ancien président du Conseil des ministres italien Matteo Renzi, qui a n’a pas mâché ses mots pour demander le départ de la Hongrie de Viktor Orbán de l’Union européenne. Bien qu’ayant juridiquement tort, l’ancien numéro un italien a politiquement raison. Pourquoi, notamment en ces temps d’une gravité exceptionnelle, ne pas alors passer des paroles aux actes ? Au premier jour de la présidence allemande de l’Union européenne le 1er juillet prochain, l’UE pourrait stopper tout versement des subventions européennes à ces trois contrevenants de l’Europe, sachant qu’ils sont tous, et notamment la Hongrie et la Pologne, des bénéficiaires nets du budget européen ? De surcroît, la RFA et ses autres alliés auraient aussi prouvé leur fidélité et leur attachement à l’Europe, à celle qui mérite d’être celle que l’on aimerait qu’elle soit.