Politique européenne

Mieux comprendre la chute du Mur de Berlin

Mieux comprendre la chute du Mur de Berlin, ce n’est ni régler ses comptes avec le communisme, ni faire l’éloge d’un capitalisme surpuissant. Si le second a vaincu le premier, rien ne sert de pavoiser. Les Allemands de l’Est voulaient la liberté, mais pas obligatoirement celle qui leur fut octroyée. Nombre d’entre eux aimaient la RDA, non pour ce qu’elle était devenue, mais pour ce qu’elle aurait dû être. Sauf que, bien que république et allemande, elle n’a jamais été démocratique. Quant à la RFA, elle était et demeure une république, allemande et fédérale. Démocratique, elle l’a toujours été et le reste. Pourtant, la démocratie à laquelle rêvaient celles et ceux qui ont fait tomber le Mur de Berlin n’est pas celle qu’ils ont obtenue. Ils l’imaginaient moins inégalitaire, plus sociale et plus culturelle.

Ils étaient naïfs, mais sincères. Ils ne voulaient pas être absorbés par l’Ouest. Toutefois, ils l’ont été. Ils n’ont pas été colonisés par leurs grands frères occidentaux, tout simplement dominés par eux. Sourds aux remontrances qui leur furent adressées à l’époque, ils se sont engouffrés volontairement dans une unification à laquelle ils n’avaient pas obligatoirement aspiré. Victimes d’un système qui les avaient trahis et laissés pour compte, ils croyaient aux promesses et plus encore au grand soir qu’ils ont fêté comme un seul homme onze mois après la chute avec leurs concitoyens de l’Ouest.

Libérés du joug d’une dictature horriblement vieillissante, ils ne pensaient qu’à leur cure de jouvence dont ils ont rapidement connu les limites sociales et politiques. Dans une Allemagne qui, selon les mots même du chancelier Helmut Kohl, ne devait être qu’une suite élégante de « paysages florissants », ils se sont vite retrouvés devant un amas de taules détruites, d’usines désaffectées et de friches industrielles. Tout était à refaire, à reconstruire, pour eux, mais sans eux. Ils pouvaient dorénavant exercer leur droit de vote librement, mais avaient partiellement perdu celui de la parole. Tout se faisait sans les consulter, car classés « seconde catégorie », ils étaient mis à la marge d’une société qui était pourtant toujours la leur.

Les élites devenaient interchangeables. Idem pour la culture. Les universités recrutaient à tour de bras. Des postes de professeur furent offerts à des chercheurs de l’Ouest, pas plus qualifiés que ne l’étaient ceux de l’Est, mais ayant pour seul avantage celui d’avoir été éduqués en RFA. Nombre de livres étaient mis au pilori, alors que les écrivains est-allemands furent soupçonnés d’allégeance au pouvoir communiste. Ce procès à l’emporte-pièce ne traduisait qu’un sentiment de revanche de celles et ceux qui étaient persuadés de représenter la « meilleure des Allemagnes ».

De fait, la République fédérale était meilleure que celle qui n’avait de démocratique que le nom. Néanmoins, la seconde recelait en elle une masse critique que l’Allemagne de l’Ouest a trop vite critiquée. Sans elle, le Mur de Berlin ne serait jamais tombé. Sans elle, il n’y aurait jamais eu des manifestants qui, n’ayant pas froid aux yeux, revendiquaient le droit à cette citoyenneté libre et démocratique dont ils furent si longtemps privés. Sans elle, enfin, il n’y aurait jamais eu 500 000 personnes qui, réunies sur l’Alexanderplatz de Berlin un 4 novembre 1989, applaudissaient aux appels à la liberté lancés par des intellectuels de renom comme Christa Wolf, Christoph Hein, Stefan Heym ou Heiner Müller. La RDA était fière de ses écrivains. Elle pouvait l’être, sauf que la RFA ne l’a jamais reconnu et compris.

La chute du Mur de Berlin est l’œuvre des Allemands de l’Est et non celle des Allemands de l’Ouest. Elle est aussi le fruit de la politique de Mikhaïl Gorbatchev, sans lequel il n’y aurait jamais eu de 9 novembre 1989 à Berlin. Quant à Helmut Kohl, l’homme de la réunification, il se trouvait ce jour-là en Varsovie lors d’une visite de sinistre mémoire. Témoin maladroit d’un événement qu’il n’avait pas vu venir, il fut copieusement sifflé le lendemain devant l’Hôtel de ville de Berlin-Ouest. Tout au contraire de Willy Brandt, acclamé par cette même foule qui, comprenant l’importance historique du moment, n’hésita pas à prononcer une phrase lourde de sens : « Es wächst zusammen, was zusammen gehört », que l’on pourrait traduire en français par les mots de « Se réunissent dans leur croissance les êtres unis dans leur essence ». Maire de Berlin-Ouest le jour de la construction du Mur, ce même Willy Brandt fut non seulement le premier homme politique ouest-allemand à avoir prédit l’unification allemande du 3 octobre 1990, mais aussi à être directement associé à la chute d’un mur qu’il avait maudit dès son érection le 13 août 1961.

Onze mois plus tard, l’Allemagne n’était plus qu’une. Elle devait son unité à Helmut Kohl, à la CDU et aux les Allemands de l’Est qui, à l’occasion des seules élections libres et démocratiques du 18 mars 1990, accordaient largement leurs suffrages à « l’Alliance pour l’Allemagne » (« Allianz für Deutschland »). Soutenue, financée, orchestrée et téléguidée par les chrétiens-démocrates à Bonn, celle-ci était à la tête du seul et éphémère gouvernement démocratique d’une RDA condamnée à disparaître. Tel ne fut pas l’esprit d’un 9 novembre 1989. Cette date marquait l’apogée d’une révolte pacifique opérée par des femmes et des hommes qui croyaient incarner LE peuple. Plus tard, ils devaient se rendre à l’évidence : la majorité de leurs concitoyens ne désiraient plus être qu’Un peuple, uni et allemand. En ce trentième anniversaire de la chute du Mur, il est temps de leur rendre hommage. Ce n’est que le 3 octobre 2020 que l’on pourra célébrer les artisans et les pères de l’unité allemande.

 

 

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