Politique européenne

Ce qui se cache derrière le localisme de M. Le Pen

Développé au cours des élections européennes par Marine Le Pen, mais passé quelque peu au second plan durant la campagne, le thème du localisme pourrait bel et bien refaire surface dans les programmes à venir du Rassemblement national. À première vue beaucoup moins polémique que ne le sont d’autres propositions et slogans du RN, cette idée n’en est pas moins dangereuse. S’inspirant à bien des égards des sujets de prédilection des partis traditionnels, elle évoque « le bon sens proche de chez vous », dont l’une des plus grandes banques françaises s’était naguère fait la porte-parole.
Défendant entre autres les circuits courts entre les producteurs et les consommateurs, le localisme du Rassemblement national s’inscrit dans une approche critique de la mondialisation et rejoint ainsi plusieurs analyses des mouvements de gauche et écologistes. Avec pour adversaire principal la globalisation, il fait partie de cet arsenal idéologique que Marine Le Pen a parfaitement su concevoir pour répondre à la crise politique des milieux populaires. Avocate du « petit gentil » face au « gros méchant », la présidente du RN expose certes un schéma simpliste et parcellaire, mais qui a toutefois pour avantage de dénoncer les défauts des processus d’échanges commerciaux et capitalistes.
Touchant le nerf sensible des consommateurs-citoyens, eux-mêmes excédés de se nourrir d’aliments aux provenances incertaines et aux compositions suspectes, le local semble servir de garantie pour se prémunir de la malbouffe et plus encore de toutes les contrefaçons industrielles venues d’ailleurs. Protection économique et politique contre l’étranger, le régional et le national sont désormais devenus les remparts civiques de la lutte antimondialiste. Bien que justifiée à plusieurs titres, cette conception n’en est pas moins très réductrice et pourrait receler certains aspects insoupçonnés que la droite extrême ne manquera pas d’utiliser à son profit.
Aux antipodes de l’internationalisme socialiste de même qu’en parfaite contradiction avec l’essence même du libéralisme philosophique et économique, le localisme s’identifie au repli sur soi. Ne s’occupant par définition que de ce qui nous entoure, il a pour effet automatique de négliger ce qui nous est plus éloigné. Il s’allie ainsi à l’ethnocentrisme dont la nouvelle droite s’est fait l’apôtre depuis près de quarante ans. Affirmation de préserver ses intérêts particuliers, il traduit une volonté de refuser et de répudier l’autre. En ce sens, le localisme devient très rapidement ce que l’extrême droite veut en faire, à savoir une pensée xénophobe, anti-migrants, anti-immigration et antieuropéenne.
Présentée habilement comme une réponse circonstanciée aux défis du 21e siècle, cette idée fait en réalité appel à une vielle tradition nationaliste. On la retrouve par exemple dans la devise « Travail, Famille, Patrie », si chère au Maréchal Pétain qui depuis Vichy cultivait le mythe de la terre française. Aujourd’hui reprise par quelques-uns de ses descendants idéologiques, elle bénéficie toutefois d’une actualité qui lui octroie une réelle légitimité politique. Parce que dotée d’une incontestable crédibilité, elle permet à l’extrême droite d’asseoir sa présence auprès d’une population qui, plus que jamais sensible à défendre son périmètre de vie et son environnement le plus immédiat, l’adopte sans le moindre sens critique.
Pour l’instant, les partis traditionnels n’ont pas encore pris la mesure de cette nouvelle menace que le localisme d’extrême droite fait peser sur l’avenir du système démocratique. Appelés à être plus vigilants dans les pratiques commerciales et dans la négociation et la signature de nouveaux traités à l’échelle planétaire, ils doivent néanmoins se garder de tomber dans le piège d’un nombrilisme circonvoisin, sinon indigène, dont ils seront automatiquement les plus grands perdants.
Bien que le localisme puisse apporter l’une ou l’autre réponse pour pallier les déficits auxquels toutes les sociétés sont obligées de répondre, il ne se suffira jamais à lui-même. À l’heure où la globalisation démontre aussi ses propres limites, le retour au « petit » ou au « plus proche » nous conduirait inexorablement à une impasse et à une privation de libertés dont nous aurions du mal à nous remettre. En simplifiant de manière caricaturale un véritable débat entre le global et le local, l’extrême droite vient de marquer un point. Pour lui ôter cet avantage, le temps est à nouveau venu de rappeler que seul un processus dialectique entre ces deux termes permet de relever une contradiction ancestrale, et pourtant si actuelle, où le bien-être et l’avenir de chacun dépendent aussi de ceux des autres.

Quitter la version mobile