Politique européenne

Le français de retour en Europe

Pour paraphraser René Magritte, ceci n’est pas un article de linguistique. Et pourtant, la langue y trouve toute sa place. Nonobstant les critiques ou les compliments que l’on est en droit d’adresser à la composition du nouvel exécutif européen, une vérité s’impose d’elle-même : le français est de retour au sein des instances européennes.

Il va de soi qu’il ne supplantera pas l’anglais. Par ailleurs, la présidente désignée n’est pas de langue française, contrairement à son prédécesseur Jean-Claude Juncker qui, comme tout bon Luxembourgeois qui se respecte, est multilingue par nature. Toutefois, Ursula von der Leyen maîtrise très bien la langue de Molière, alors que les autres postes clés de l’Union européenne, tels que celui de président du parlement de Strasbourg qui est revenu au social-démocrate italien David-Maria Sassoli, sont désormais occupés par des francophones ou des personnalités parlant bien, voire à la perfection le français.

Avec Christine Lagarde et Charles Michel, l’une Française, l’autre Wallon, la Banque centrale européenne et le Conseil des ministres européens seront tous deux présidés par des personnalités de culture francophone. Quant au nouveau chef de la diplomatie de l’UE, le catalan Josep Borrell, il a fait une partie de ses études en France. Même si José Manuel Barroso et Herman van Rompuy, respectivement à la tête de la Commission européenne de 2004 à 2014 et président permanent du Conseil européen de 2010 à 2014, s’expriment parfaitement en français, leur accès à la culture française est plus restreint que celui de quelques-uns de leurs successeurs fraîchement nommés.

Ce succès francophone n’est pas dû au hasard. Il bénéficie d’une conjonction de plusieurs facteurs, tous favorables à la place du français au sein des instances européennes. À l’avant-veille du Brexit, l’UE ne pouvait pas faire la part belle aux pays qui essayent encore, tant bien que mal, de maintenir la Grande-Bretagne au sein de l’UE. En tournant le dos à l’Europe, comme l’ont fait les députés brexiters lors de la cérémonie inaugurale de la nouvelle législature du Parlement européen, le Royaume-Uni n’a plus rien à dire à Bruxelles, d’autant que son départ de l’UE devra être acté, une fois pour toutes, le 31 octobre prochain, soit un jour avant la prise en fonction de la nouvelle Commission européenne.

Bien qu’apparemment très satisfaits de la nomination d’Ursula von der Leyen à la tête de celle-ci, les Allemands regrettent aussi – et surtout – que l’un des leurs n’ait pas le privilège d’occuper le fauteuil de président de la Banque centrale européenne. En soutenant la candidature de l’actuel numéro un de la Bundesbank, Jens Weidmann, ils espéraient renforcer leur sacro-sainte orthodoxie monétaire au sein de la zone euro. Se réjouissant du départ de leur bête noire Mario Draghi, ils escomptaient mettre fin à une politique financière qu’ils jugent trop laxiste. Avec la nomination de Christine Lagarde à Francfort, les voilà guère rassurés. Ayant vertement critiqué la RFA pour le montant excessif de ses excédents commerciaux, elle avait déjà eu droit à une volée de bois vert de la part de Berlin. Avec l’appui explicite du président français, Christine Lagarde pourrait devenir une nouvelle tête de turc de l’establishment financier allemand qui n’entend toujours pas céder au projet d’une gouvernance, digne de ce nom, de la zone euro.

Après avoir barré la route à Frans Timmermans, les pays du groupe de Visegrád de même que l’ensemble des PECO ont certainement payé au prix fort leur opposition au chef de file de la social-démocratie européenne. Après avoir occupé avec Donald Tusk le poste de président du Conseil européen depuis 2014, les pays d’Europe centrale et orientale sont repartis bredouilles de leur quête de postes importants au sein de l’exécutif européen. Événement majeur dont on ne saurait encore deviner aujourd’hui les conséquences, cette bérézina est-européenne ne saurait déplaire au président français. Contrairement à Berlin, géographiquement, économiquement et commercialement plus proches de l’Europe de l’Est, Paris n’apprécie en effet que modérément certaines initiatives stratégiques, environnementales et politiques de quelques États qui, depuis leur adhésion à l’UE en 2004, y ont joué un rôle pour le moins ambivalent.

Intraduisible en français, le terme allemand de « Spitzenkandidat » a désormais du plomb dans l’aile. Aucun des prétendants pressentis ne s’est imposé. Un projet mal réfléchi a montré ses limites. Dans la ligne de mire du gouvernement français, il a eu droit à un enterrement de première classe qui n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre. Là aussi, Emmanuel Macron a peu ou prou obtenu ce qu’il voulait. Rendant la monnaie de leur pièce aux chrétiens-démocrates qui lui avaient refusé le principe de listes transnationales, il a renvoyé leur candidat Manfred Weber à ses chères études bavaroises.

Alors qu’à l’occasion de la distribution de ces postes, tous les observateurs ont souligné « le retour du couple franco-allemand » au-devant de la scène européenne, il convient de faire preuve d’un peu plus de discernement. Même si Berlin et Paris se félicitent ensemble du résultat intervenu le 2 juillet dernier à Bruxelles, c’est le côté français qui, souvent malmené ces derniers temps par son homologue allemand,  semble avoir tiré les marrons du feu. Il n’a certes pas obtenu tout ce qu’il voulait, mais assez pour se prévaloir d’une victoire diplomatique qui fera date. Et plus encore qui, face à une chancelière en perte de vitesse et confrontée à l’hostilité de sa classe politique, mécontente d’avoir été les dindons de la farce du Spitzenkandidat, a prouvé que la France est de retour en Europe. Et qui connaît la fierté des Français sait aussi qu’elle demeure indissociable de la défense de la langue française.

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