Politique européenne

Les six leçons des élections européennes

Les adversaires de l’Europe en sont pour leurs frais. Persuadés que les élections européennes de 2019 allaient sonner le glas de l’UE, ils ont très vite déchanté le soir du 26 mai. Eux qui pavoisaient déjà à voir l’Union européenne se disloquer à grande vitesse, ont rapidement rebroussé chemin. Mais rien ne sert de leur jeter la pierre, même si une certaine Schadenfreunde s’exprime à l’adresse de ces éternels eurosceptiques auxquels le scrutin démocratique de dimanche dernier vient d’administrer une sacrée leçon d’humilité. En lieu et place de quelques règlements de compte, comme fort souvent très inopportuns, la place revient plutôt à une étude plus sérieuse des résultats et à la formulation de six thèses qui permettent de tirer à plus ou moins long terme des enseignements de cette élection.

  1. Grâce à une participation pour la première fois en hausse depuis quarante ans, les citoyens européens ont largement plébiscité l’UE et les partis pro-européens. Ils composent plus des deux-tiers de l’hémicycle strasbourgeois et représentent une majorité forte et solide au sein du Parlement européen. Légitimant l’existence et l’avenir de l’Union européenne, les électeurs des vingt-huit pays membres ont aussi marqué leur désapprobation à l’encontre de certaines politiques qu’elle met en œuvre. En d’autres termes, ils plaident à la fois pour le maintien et le développement de l’Union européenne de même que pour de nouvelles politiques communautaires.
  2. En amont de cette élection, l’opinion publique européenne a attaché trop d’importance aux courants nationalistes et antieuropéens. Non seulement la presse, mais aussi certains politiques ou autres observateurs les ont trop mis en avant, alors que les sondages, qui leur étaient le plus favorable, ne leur prédisaient qu’un tiers des sièges. En fin de compte, ils n’en ont obtenu qu’un quart. En revanche, ces mêmes observateurs n’ont pas prêté assez d’attention aux libéraux et surtout aux Verts qui sont les vainqueurs de ce scrutin.
  3. Ces élections illustrent une fois de plus la thèse « des mouvements des plaques tectoniques politiques ». Ces derniers influencent et bouleversent depuis plusieurs années les traditionnels schémas de pensée que l’on croyait, à tort, gravés dans le marbre. Parce que n’ayant jamais fait l’objet d’une analyse critique et encore moins d’une évaluation contextuelle de leur contenu, les représentations traditionnelles d’un paysage politique, que l’on croyait immuable, n’ont jamais été remises en cause. Ainsi, peu nombreux sont les politiques et politistes qui ont su anticiper les changements profonds intervenus dans les espaces politiques des États européens ou autres.
  4. Les européennes de 2019 méritent d’être appréhendées et interprétées comme une transition entre des offres politiques (apparemment) fortement établies et de nouveaux défis actuels. Alors que les chrétiens- et sociaux-démocrates, dominants sur la scène (ouest-)européenne depuis les années 50, sont les victimes de leurs propres comportements de même que de nombreuses transformations sociales, culturelles et intellectuelles, d’autres partis et mouvements plus récents ont parfaitement réussi à thématiser et ancrer des sujets politiques en phase avec les défis environnementaux, démographiques ou transnationaux du monde moderne. Perçus dans un premier temps comme plus ou moins éphémères, tout laisse à croire désormais qu’ils s’établiront sur le long terme.
  5. Fait peu commenté à la lecture des résultats du dimanche 26, la défaite de la droite traditionnelle dans les cinq pays les plus importants de l’Union européenne constitue un événement majeur dont on ne mesure peut-être pas encore l’importance qu’elle pourrait revêtir pour la recomposition politique en Europe. Que ce soit en Espagne avec le mauvais score du Partido popular n’atteignant guère plus de 20% des suffrages exprimés, en France avec la déroute de la liste conduite par François-Xavier Bellamy créditée de 8,48% des voix, en Italie avec Forza Italia qui a montré toute sa faiblesse, au Royaume-Uni où les Tories pris au propre piège du Brexit descendent sous la barre des 10% et, last but not least, la RFA dominée traditionnellement par la CDU, pivot central de la démocratie chrétienne européenne, qui a enregistré le plus mauvais résultat de son histoire. Partis créés ou dirigés naguère par des personnalités comme Adenauer, Aznar, Berlusconi, Chirac, Kohl, Sarkozy ou Thatcher, ces formations politiques ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes et risquent de connaître les mêmes déboires auxquels sont d’ores et déjà confrontés, à l’exception du gouvernement espagnol, leurs concurrents sociaux-démocrates ou socialistes.
  6. Enfin, ces élections européennes se sont déroulées sur fond de crise franco-allemande. En lieu et place des habituelles initiatives européennes binationales, à la fois craintes et appréciées par les autres partenaires communautaires, nombre de divergences profondes entre la France et l’Allemagne, qualifiées parfois d’insurmontables, ont également alimenté la campagne électorale. Leur esprit de concurrence s’est non seulement soldé par un bilan contreproductif, mais a aussi, selon l’expression consacrée, grippé le « moteur franco-allemand ». Face aux propositions du président français, l’Allemagne a très souvent répondu par la négative, sans pour autant apporter des solutions constructives. Bien qu’ayant perdu son pari de devancer le parti de Marine Le Pen, Emmanuel Macron se trouve néanmoins dans une situation plus avantageuse que ne le sont celles d’une part de la présidente de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, responsable du mauvais score de son parti, et d’autre part de la chancelière Angela Merkel dont beaucoup s’interrogent sur la date de sa retraite de la vie politique allemande.

À elles seules, ces six leçons ne servent certainement pas à tirer tous les enseignements que ce scrutin européen a apportés le 26 mai dernier. Beaucoup plus surprenants, et en partie beaucoup plus réjouissants que ne le laissaient supposer quelques oiseaux de mauvais augures antieuropéens, ceux-ci méritent d’être scrutés de près. Non qu’ils suffisent à dessiner sur le long terme la carte politique de l’Europe, mais pour tracer de nouveaux contours qui prouvent, n’en déplaisent aux eurosceptiques de tout poil, que l’Union européenne existe bel et bien et qu’elle a encore de beaux jours devant elle.

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