Politique européenne

Le cas d’école autrichien

En 2000, Jacques Chirac avait pris les devants et était monté au front. En entraînant dans son sillage Gerhard Schröder, il se retrouvait à la tête du combat contre l’extrême droite européenne. Réussissant à convaincre ses partenaires de prendre des sanctions contre le nouveau gouvernement autrichien, né à l’époque d’une coalition entre la droite classique du chancelier Wolfgang Schüssel (ÖVP) et l’extrême droite du FPÖ, dirigé alors par Jörg Haider, il avait clairement défini les limites à ne pas franchir. Que ces sanctions aient eu ou non l’effet escompté, qu’importe ! L’année même de la promulgation de « la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne », elles avaient au moins eu le mérite d’exister et de prouver que l’Europe savait faire de la politique.

Dix-sept ans plus tard, rien ou presque. L’alliance nouée en décembre 2017 entre Sebastian Kurz, le jeune chancelier conservateur, et l’extrémiste viennois Hans-Christian Strache est passée comme une lettre à la poste. Rares étaient ceux qui osaient protester, tant leurs paroles étaient, paraît-il, celles de « has been », incapables de reconnaître l’esprit nouveau qui semblait désormais régner sur l’Europe. Une fois de plus, l’Autriche devait servir d’exemple pour la recomposition d’une droite européenne décomplexée et prompte à s’accoupler avec l’extrême droite. Vienne ne devait être que le prélude d’autres coalitions gouvernementales, à l’instar de celle qui, scellée en Italie au printemps 2018, aurait préfiguré, selon les mots mêmes du numéro un autrichien, « un axe des volontaires [entre] Rome, Berlin et Vienne ».

Placé aujourd’hui devant ses propres responsabilités, et suite à la divulgation d’une vidéo plus que compromettante pour son ex-vice-chancelier, ce même Sebastian Kurz s’insurge et crie à tue-tête que « trop c’est trop ». Pourtant, n’avait-il pas lui-même franchi la ligne jaune en nommant un personnage aussi décrié que Strache au poste de numéro deux de son gouvernement ? Dès 2017, le chancelier, conscient des risques qu’il prenait, était au courant des amitiés que le FPÖ continuait de cultiver avec quelques groupuscules identitaires et des relations, plus ou moins sulfureuses, que le chef de ce parti entretenait avec des milieux d’affaires russes.

Si Heinz-Christian Strache encourt des sanctions pénales pour causes présumées – sinon avérées – de corruption, Sebastian Kurz n’est pas blanc comme neige. Il porte le fardeau de son alliance avec l’extrême droite et ne peut pas faire comme si de rien n’était. Dans une moindre mesure, cela concerne aussi les sociaux-démocrates du SPÖ qui, contrairement à leur volonté de mettre fin à l’accord municipal avec le FPÖ en ville de Linz, n’excluent toujours pas de se séparer des ministres d’extrême droite dans la région du Burgenland.

Pour une extrême droite qui se croyait dédiabolisée, l’Autriche devait faire tache d’huile en Europe. Pourtant, à Vienne, elle est victime d’un effet boomerang qu’elle n’a pas vu venir. Sous d’autres cieux, en quête de normalisation, elle essaye toujours de faire oublier les risques auxquels sont exposés les pays qui se trouvent sous sa menace. Cela concerne à la fois l’Italie, mais aussi la France, où elle pourrait devancer le parti du président Macron lors des européennes à venir. Parce que n’ayant pas voulu comprendre que « les gilets jaunes » feraient in fine le jeu du « Rassemblement national », la « République en marche » regrettera peut-être son retard à l’allumage et son manque de réactivité pour ne pas avoir su éteindre à temps le brasier politique que Marine Le Pen et ses acolytes comptent propager sur l’ensemble du territoire français.

Plus que jamais, le cas autrichien est un cas d’école. Il est l’illustration même des dégâts politiques que l’extrême droite peut provoquer à l’intérieur d’une nation. Les mains dans le cambouis de la corruption internationale, alliée objectif des officines de puissances étrangères, amie sulfureuse de personnages plus que douteux, elle se prévaut de réunir des « patriotes », alors que durant son histoire, elle n’a fait que de trahir la patrie au nom du pire des nationalismes. Aujourd’hui, elle a pour principal ennemi l’Europe. Au lieu de s’en plaindre, celle-ci devrait s’en féliciter. Quoi de plus noble, en effet, pour l’Europe que d’être l’adversaire tout désigné d’une extrême droite qui, en contradiction parfaite avec l’esprit de la « Charte des droits fondamentaux » de l’UE, demeure à tout jamais la force la plus obscurantiste de la politique !

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