Politique européenne

le néonationalisme germanique contre Macron

Se seraient-ils donné le mot ? Tant la nouvelle présidente de la CDU que le chancelier autrichien s’en sont pris, à quelques jours d’intervalle, avec force et véhémence à la lettre d’Emmanuel Macron. Leur réponse ne laisse subsister aucun doute : leur Europe n’a rien à voir avec celle du président français. En lieu et place d’une « renaissance » de l’Union européenne, Annegret Kramp-Karrenbauer et Sebastian Kurz plaident pour une Europe beaucoup plus conservatrice, d’obédience germanique et nettement plus en retrait sur le plan social et environnemental.

Qualifiée « d’utopique » par le numéro un autrichien, l’instauration d’un salaire minimum européen a fait bondir les deux dirigeants de droite. Faisant croire à tort qu’il serait d’un montant analogue dans tous les pays membres, ils dénoncent son caractère nocif pour l’industrie allemande et autrichienne. Défenseurs invétérés du « pourvu que je puisse continuer d’exploiter chez moi des travailleurs sous-payés », ceux-ci promeuvent l’inégalité sociale européenne, à l’heure où celle-ci constitue l’une des causes majeures du rejet du modèle européen.

L’Europe de Kramp-Karrenbauer et de Kurz est celle d’une droite plus hard que soft. L’une veut récupérer les voix égarées au profit de l’AFD, l’autre gouverne avec un parti extrémiste au passé et au présent plus que sulfureux. Avec pour dénominateur commun de privilégier une économie de marché, où le social aurait sombré dans les méandres d’un modèle rhénan aujourd’hui disparu, les deux chrétiens-démocrates répudient des mesures plus audacieuses, comme la création d’une « banque du climat » proposée par Emmanuel Macron.

Bien que le renforcement répressif de l’espace Schengen, voire une politique africaine de l’Union européenne, puissent offrir quelques terrains de compromis, le fossé entre Macron et le duo Kramp-Karrenbauer/Kurz risque de se creuser de plus en plus. À deux mois des élections européennes, à l’issue plus qu’incertaine, ce sont deux conceptions de l’UE qui s’affrontent : l’une pour une Europe ouverte et puissante selon la France, l’autre pour une Europe économique, financière et sociale a minima selon le couple germano-autrichien.

Au-delà des péripéties de la campagne électorale, cet affrontement pourrait engendrer de graves conséquences à long terme. Privé de son principal allié allemand, le président de la République française se retrouve en effet fort démuni. Déjà confronté aux provocations romaines, le voilà touché de plein fouet par un vent mauvais venu de Vienne et de Berlin. Isolé sur la scène européenne, Emmanuel Macron n’a d’autre choix que de rester ferme sur ses positions. Plus encore, il a intérêt à les gauchir et les verdir pour définir  plus précisément le terme de « progressiste », auquel il ne cesse de se référer.

Si les critiques de Sebastian Kurz ne demeurent que celles émanant du chancelier autrichien, celles d’Annegret Kramp-Karrenbauer sont beaucoup plus préoccupantes. Rédigées de la main de la présidente de la CDU et candidate toute désignée pour remplacer Angela Merkel à la chancellerie, elles portent un énorme préjudice à la crédibilité de la relation franco-allemande en Europe. Quoique sarroise ou peut-être parce que sarroise, la Cheffe des chrétiens-démocrates allemands vient de manifester un dédain à l’encontre de la France, qu’aucun Français, et plus encore qu’aucun pro-Européen conscient de l’importance du partenariat franco-allemand en Europe, ne peut accepter tant dans sa forme que dans son fond.

Exigeant que Paris renonce à son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et accepte de ne plus héberger le Parlement européen à Strasbourg, Annegret Kramp-Karrenbauer a multiplié des provocations indignes d’une femme d’État. D’autant plus indignes que dès l’année 2000, par la voix de Jacques Chirac, l’exécutif français a toujours approuvé la demande allemande de siéger de manière permanente audit Conseil de sécurité de l’ONU. Quant à l’idée de revendiquer le transfert de la Banque centrale européenne de Francfort à Bruxelles, elle ne serait jamais venue à l’esprit du moindre responsable politique français.

Désormais, la France, comme d’autres membres de l’Union européenne, doit s’interroger sur l’avenir de ses relations avec l’Allemagne post-Merkel. Quoique toujours capable de s’améliorer à l’usage du pouvoir, Annegret Kramp-Karrenbauer ne laisse présager rien de bon. Comme son homologue autrichien, elle est gagnée par un néonationalisme germanique dont nul autre Européen n’a besoin. N’inspirant qu’une confiance limitée, elle suscite ces fameuses « incertitudes allemandes » dont tout le monde espère qu’elle se dissiperont le plus rapidement possible.

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