Politique européenne

Les Gilets jaunes: à contre-courant

Écrire un article en pleine phase insurrectionnelle n’a guère de sens. Du jour au lendemain, tout peut changer, tout peut évoluer. Ce qui était vrai hier, ne l’est plus aujourd’hui. Ce que l’on affirme ici et maintenant, risque de s’évaporer dès demain de nos pensées. Ces quelques lignes ne feront pas exception à la règle et ont donc toutes les chances de devenir caduques dès leur parution.

Pourtant, elles méritent d’être écrites. Non pour faire date, mais pour ne pas subir l’inexorable loi du mainstream et revendiquer, au contraire, le droit de nager à contre-courant. Malgré le soutien de presque trois-quarts des Français aux « gilets jaunes », rien n’interdit d’affirmer sa différence et de revendiquer le droit à ne pas s’associer à un verbiage de compassion avec des populations qui se complaisent dans une frustration qu’elles ont partiellement nourrie. Non qu’elles soient de loin les seules responsables de leur déclassement, mais toujours avides de chercher les coupables là où ils ne sont pas.

Il n’y a rien de plus facile que de s’en prendre au pouvoir étatique. La fronde contre l’État ne date pas d’hier. Compréhensible à certains égards, elle peut aussi s’égarer dans les travers d’un mouvement incontrôlé qui se solde, logiquement ou paradoxalement, par une nouvelle forme d’État beaucoup moins démocratique que ne le fut la précédente. La conjugaison malsaine entre une émanation du peuple et la tentation d’un État fort a souvent conduit au totalitarisme. L’histoire du 20e siècle ne compte que trop de régimes de sinistre mémoire qui, de la confusion volontaire entre le peuple et l’État, ont mis fin à toute forme de liberté et de pluralisme politique. En contradiction parfaite avec l’esprit des démocraties occidentales, il n’y aucune forme monolithique du peuple, pas plus d’ailleurs qu’il n’en existe une de l’État. C’est pourquoi, les « gilets jaunes » n’ont aucun droit de parler au nom du peuple. Ils n’en sont qu’une composante hétéroclite et contradictoire, avec pour seule source de légitimité, celle de vouloir exprimer leur colère avec les armes des pauvres, mais aussi parfois avec celle des pauvres types.

Idem pour l’État. Il ne se réfugie pas seulement derrière les barrières des jardins de l’Élysée. Sa présence se traduit au quotidien, à l’abord d’une école, d’un hôpital, d’un carrefour routier ou d’une salle polyvalente. Il est le garant des services publics auxquels la population aspire de plus en plus, mais pour lesquels celle-ci demande d’être exonérée de toute forme de dépense. En toute logique, ce système atteint alors rapidement ses limites ; notamment dans un pays où 50% des ménages, soit les plus défavorisés, ne sont pas assujettis à l’impôt. Obtenir plus en payant moins, que l’on nous explique comment cela fonctionne ! Peut-être en entonnant le refrain du « faire payer les riches » qui eux, plus malins que d’autres, auront, depuis belle lurette, dans la plus grande tradition de la fuite des capitaux et en toute légalité, placé leur fortune dans les coffres-forts des banques étrangères et suisses.

Ce que les « gilets jaunes » peuvent se permettre, l’État ne le peut pas. Alors que les premiers se prévalent d’une irresponsabilité protestataire, le second doit faire preuve de responsabilité politique. C’est ce que n’ont pas compris les Français. Adeptes du nombrilisme hexagonal à outrance, ils se croient à l’abri de réformes que plusieurs de leurs voisins n’ont pas manqué de faire. Encouragés par des élus aux revendications plus démagogiques les unes que les autres, ils demeurent persuadés que l’on pourra augmenter les salaires, détaxer les carburants, verser des subventions et démultiplier les services publics avec un déficit avoisinant, en 2018, les 100% du produit intérieur brut. Privilégiant le « y’a qu’à, faut qu’on », les classes moyennes payeront vraisemblablement le prix d’une facture économique dont ils refusent toujours de percevoir le coût.

Le gouvernement français n’est pourtant pas exempt de tout reproche. Loin s’en faut. Il a commis de graves erreurs, comme celle de l’abolition partielle de l’impôt sur la fortune sans la moindre contrepartie sociale. De même a-t-il sous-estimé le poids des injustices dans un pays qui pourtant arbore sur le fronton de ses 36 000 mairies la devise révolutionnaire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Aujourd’hui, ayant mal à son égalité et plus encore à sa fraternité, la France risque de mettre sa liberté en péril. Ce ne sont surtout pas « les gilets jaunes » qui la rétabliront. Avec pour revendication première la baisse des taxes sur les carburants, ceux-ci ont signalé leur attachement à un système en voie de disparition. Sourds aux appels à la transition écologique, se fichant éperdument des 48 000 morts dus chaque année à la pollution de l’air par les particules fines, ne s’inquiétant pas le moindre du monde d’un taux de chômage largement supérieur à la moyenne de la zone euro et prêts à sacrifier la place européenne de la France aux dépens de vils intérêts nationalistes et corporatistes, ils sont idéologiquement beaucoup plus proches de Trump, de Cinque Stelle, des pro Brexit britanniques et, last but not least, de Marine Le Pen. Artisans tout désignés du déclin français, dont des intellectuels, chercheurs, journalistes et autres élites honnies ne cessent de mettre en garde la population, ils sont non seulement les représentants de la classe moyenne, mais aussi ceux des Français moyens dont l’histoire se décline souvent avec celle des heures les moins glorieuses de la nation.

 

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